vendredi 5 novembre 2010

LA CHAMBRE N°4 - sous-titré: "à Nassogne, ici et ailleurs" (texte intégral)

Didier de Lannoy
(alias ddl, alias Vié ba Diamba)



La chambre n°4
à Nassogne, ici et ailleurs
du 13 au 31octobre 2010


















Texte élagué et corrigé...

... et entièrement repeigné par une fée, Pascale Devil !


A propos de Nassogne au Togo, voir aussi:
ou


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Lomé.

Mercredi 13 octobre.
Yovo Yovo Bonsoir vient de débarquer, le jour même, dans la nuit…


Aéroport de Zaventem.
La veille.

Yovo Yovo Bonsoir attendait l’avion de Royal Air Maroc à destination de Lomé via Casablanca.
Si Motema Magique (alias Ana Jazz, alias Tantine Betena, alias Mwana Danzé, alias Catalogue, alias la mère Maraîchère), sa femme mariée, son être humain, sa tendresse bourrue, avait
- Mais elle n’a pas voulu, évidemment ! Il n’y a pas de piscine à Badja ! Cette diablesse est une salicorne ! Elle ne supporte pas l’eau de la douche et du robinet ! Ni même l’eau de Spa enfermée dans des bouteilles en plastique ! Ni les eaux stagnantes d’une mare à canards ou à crapauds ! Elle aime les eaux vives, sans contraintes, dans lesquelles on peut plonger, nager et se noyer librement, l’eau des lacs et des rivières, les pièces d’eau en pleine nature au bord desquelles elle peut s’étendre toute nue et se dorer la couenne, l’eau des mers et des marais salants ! C’est seulement là qu’elle prospère !
été présente, Yovo Yovo Bonsoir l’aurait invitée à le suivre dans les toilettes des hommes.
- Viens, mon p’tit chou ! J’ai quelque chose à te montrer…
- Ta vieille bite pourrie, mon p’tit loup ?
- Oooh !
- J’rigooooole ! Mais qu’est-ce que je dois venir voir alors ? Dis-moi, avoue, raconte, mon loup d’amour !
- Rien de très important, mon chou farci au chou, rien d’autre qu’une grande affiche collée sur la porte des chiottes, à l’intérieur… et que tu reçois en pleine gueule quand tu es assis sur le pot : « Ne versez pas dans l’indifférence, versez pour l’Afghanistan »

Verser quoi ? Votre merde, votre fric, votre sperme, votre sang ?

Oh ! Les talibans recrutent même (en français) dans les chiottes d’un aéroport (flamand) ?

Lomé.
10h 30. Quilombo.


Gougoui passe un coup de fil à Kangni Alem qui, entre des cours à l’université et un rendez-vous professionnel, se donne le temps de passer en coup de vent au Quilombo, à Bè-Klikamé et, d’emblée, demande à Yovo Yovo Bonsoir s’il compte monter

- Bien sûr !
à Badja, loger
- Bien sûr !
à Nassogne et y occuper
- Bien sûr !
SA chambre, la « chambre des écrivains », la chambre n°4i, la chambre qui fait le coin, en bas, au rez-de-chaussée… d’où on peut tout apercevoir, imaginer, subodorer, comprendre… celle dont la porte s’ouvre, s’ouvre, s’ou-
- La clenche a un problème ?
vre et se referme à l’aide d’une clef… mais qu’on peut aussi laisser entrebâillée… pour ne pas se couper des bruits et des odeurs de la maison… et pouvoir observer les allées et venues…

Nassogne.
Chambre n°4.

J’y suis enfin ! Fayaaaa !

Bon, à présent, il va falloir

- Tous les occupants successifs de la chambre n°4 y ont certainement bu de la Flag (ou de l’Eku, de la Pils, de la Castel, de l’Awoyoo, de la Guiness, de la Lager- alias Ladja - ou du Sport Actif), mangé du poulet rôti ou de la pintade avec des frites (ou des ignames ou des patates douces ou du djinkoumé), lu des journaux, feuilleté des revues, bouquiné des polars… Certains s’y sont peut-être
laissés aller à rêver et se sont même pris à faire, à refaire ou à défaire le monde... D’autres y ont retrouvé une copine et un copain… et ils ont baisé ensemble… Quelques-uns, faute de partenaire, ont dû vider leur crampe, tout seul, dans un gant de toilette, une chaussette ou une serviette en papier en regardant des images pieuses… Peu y ont prié… Beaucoup y ont écrit… Ngai mpe !
assurerii… écrire un petit texte à ma façon… en couleurs… très aéré (avec des coupe-feu, des espaces verts, des sentiers, des passerelles, des raccourcis)… mais bien serré quand même, bien tassé… rural et forestier… avec, parfois, quelques incursions en milieu urbain… ici et ailleurs… de nos jours et dans l’ancien temps…

Yovo Yovo Bonsoir va donc pouvoir reprendre, sans scrupules, dans les mêmes lieux, les mêmes
iii amis et personnages
- Et, en tout premier lieu, Gougoui, évidemment… le boss, le maître d’œuvre, le chef d’orchestre… même s’il ne se met pas en évidence… à qui rien n’échappe et qui a l’œil à tout !
là où il les avait laissés, il y a plus de trois ans… avant d’être ignominieusement renvoyé dans ses foyers
- En tipoy médical ! Comme un vulgaire colon ! Comme un trafiquant d’armes en Abyssinie ou dans l’est du Congo ! Chassé par Satangan, la whonte !
pour cause de pancréatite aigüe (Nestor, Kudjo, le Vieux, Roger Atikpati, Satangan lui-même… et, bien sûr aussi, Désirée, l’irremplaçable gérante du Quilombo, toujours présente à l’arrivée, jamais absente au départ)…
Yovo Yovo Bonsoir n’en retrouvera plus certains qui, par ces temps de crise, se sont égaillés (Fo Bomboma, Kluvi, Kossi , Miss Dov, Dela… ) mais il en découvrira certainement
- Il y a Komi ou Kumi, né le mardi, bien sûr… coiffé d’une tonsure aussi large qu’une soucoupe… On m’a beaucoup parlé aussi d’Ivoirien, un vieil homme tout bossu mais encore très actif… un natif de Badja revenu s’installer dans son village après avoir travaillé toute sa vie, comme agriculteur, dans le nord de la Côte d’Ivoire ! Ivoirien a construit sa maison juste en face du portail d’entrée de Nassogne ! Il faut absolument que je le rencontre ! Mais sans forcer, évidemment… presque par hasard…
d’autres…

Et le paralytique, qu’est-il devenu ?
Des Zémidjans, des « Zed », toujours bien informés, ont rapporté à Yovo Yovo Bonsoir que le paralytique n’était pas devenu un musicien célèbre mais qu’il aurait été pris dans une mauvaise histoire et qu’on lui aurait fait la peau !
Qui ça ? Va-t-en savoir !

Et la pancréatite, comment se porte-t-elle ?
Yovo Yovo Bonsoir ne sait pas encore… On lui a quand même fait savoir que sa pancréatite pourrait bien revenir, qu’il n’en est pas quitte… et que, cette fois

- Ça va barder !
elle pourrait même être mortelle…

Ailleurs.
Avant de partir au Togo

16h, 17h…
Yovo Yovo Bonsoir se demande, avec angoisse, s’il n’a pas été
oublié
- Patientez dans le couloir, le temps que j’imprime le disque que vous devrez remettre à votre médecin traitant !
dans la salle d’attente d’un hôpital de Bruxelles (où il se faisait faire un check-up avant de prendre l’avion pour Lomé) après avoir été lubrifié à la vaseline et enculé par un phallus électronique manipulé par une dame
- Une femme magnifique ? Une brune aux cheveux relevés en chignon ? La cinquantaine bien avancée ?
très bavarde… qui habite à proximité de l’université et dont le mari est architecte et dont le jardin, très fleuri, est toujours bien ensoleillé… et qui lui avait demandé de tout
- Même la culotte ! Mais vous pouvez garder vos chaussettes… si elles ne sentent pas trop mauvais ! Dans certains cas je suis obligée d’interdire à mes clients de retirer leurs chaussures !
- Oui, madame, mais comment retirer sa culotte sans se déchausser ? se demandait Yovo Yovo Bonsoir… mais n’osait pas formuler la question à haute et intelligible voix…

enlever.

18h30…
Plus personne ne passe, plus personne n’attend. Yovo Yovo Bonsoir s’inquiète
- Ai-je déplu ? Aurais-je dû être quelque peu badin ? Aurais-je dû me montrer un chouïa entreprenant ?
mais l’éclairage et le chauffage fonctionnent encore, ça le rassure… à peine… mais plus pour très longtemps.

Nassogne.
Ici et ailleurs

C’est bien vrai qu’on ne peut pas passer toute sa vie à la campagne...
Des choses y arrivent, bien sûr… mais elles sont saisonnières, cycliques… presque « convenues »… Et elles se déroulent toujours lentement… très, très lentement ! Les histoires des poules,

- Gougoui me signale quand même la disparition récente et mystérieuse d’une jeune mère de famille, bien dodue, et de ses huit enfants !
des pintades, des canards, des serpents, des fourmis, des moustiques, des baobabs, des palmiers, des manguiers, des baies sauvages, des champignons, des lièvres, des agoutis, des « biches », des chèvres, des cochons, des chevaux, des hommes et de tous les autres mammifères se ressemblent et paraissent se répéter à l’infini, de Nassogne à
- Quoi ça ?
- Chttttt !
Nassogne, de génération en génération…
A la campagne, tout le monde vit sa vie, de la maison aux champs, de la naissance à la mort… et se nourrit des espèces autres que la sienne et sacrifie aux rites de reproduction nécessaires à la conservation de sa propre espèce… et commet tous les « péchés » qui pimentent l’existence et la rendent plus agréable (l’avarice, la colère, la gourmandise, l’orgueil, la paresse, la luxure, la convoitise des biens et des épouses d’autrui…).
Si bien que… sauf tremblements de terre désastreux, inondations catastrophiques, éruptions volcaniques et glissements de terrain spectaculaires, incendies de forêt et feux de brousse dévastateurs... épidémies de peste et de choléra, propagation du virus d'Ebola, rivières empoisonnées au mercure, boues toxiques et pollutions atmosphériques… invasions de criquets migrateurs, d’éleveurs nomades, de missionnaires, de trafiquants, de colons, d’esclavagistes et de trafiquants de main d’œuvre, de mercenaires et d’humanitaires, de conservateurs d’
espèces humaines rares et protégées, d’orpailleurs, de coupeurs de route et de pillards, de sodjas
- Moi-même, se rappelle Yovo Yovo Bonsoir, à Nassogne, pendant la contre-offensive des Ardennes… j’étais encore bébé mais… je devrais avoir honte… mais je crois que j’aimais bien la guerre… On voyait passer tellement de monde à la maison : des Allemands, des Anglais, des Américains… des réfractaires au Service du Travail Obligatoire qui se cachaient dans la forêt... des "collabos" et des « résistants »… Quand les obus tombaient dans le parc, on courait se réfugier à la cave… Il se passait des choses très différentes… On ne s’ennuyait jamais… D’autres bras me prenaient… Je me sentais exister, respirer… Ça me changeait des habitudes et des usages de la campagne…
- Nassogne ? Un autre Nassogne ? s’étonnent quelques lecteurs à qui, décidément, rien n’échappe…
- Chttttt ! Vous ne lisez donc pas les notes de fin ?
On vous a demandé de patienter un peu, non ? Ne m’obligez pas à me répéter ! répond Yovo Yovo Bonsoir, agacé…
d’ingénieurs, de vétérinaires, de géomètres, de géologues, de prospecteurs pétroliers, de promoteurs, de banquiers et de prétendus techniciens et experts… de subversifs et de factieux, de sans-culotte et de littérateurs… venus le plus souvent, d’ailleurs, par le fleuve ou par la route… si bien que les « aventures »
- On finit par se faire chier, non ?
rurales et forestières sortent rarement d’un cadre établi depuis et pour toujours.


Nassogne.
Canton de Badja.

Kudjo, l’homme qui est toujours de bonne humeur, très fier de lui, a ramené ce matin

- Pour fêter le retour de Yovo !

coincé sous le bras, le coq noir

- Kudjo est allé le cueillir, en cachette, chez le Vieux, sur l’arbre où le gredin s’était perché pour y passer tranquillement la nuit, à l’abri des chiens fureteurs, des fourmis « magnas »
1 et d’autres prédateurs ! Au risque de se faire tirer dessus par le Vieux ! Ou agriffer par une sorcière en colère… le regard fulgurant, les cheveux ébouriffés… ne supportant pas d’être dérangée alors qu’elle est aux aguets et s’apprête à fondre sur une proie !
de Nassogne… Ce coq félon avait déserté sa propre basse-cour, depuis plus de cinq mois… et s’était établi et prospérait et paradait… et narguait son ancien maître et provoquait ses anciennes amantes… et tartariiiiiiiiinait et tarascoooooonnait et cocoriiiiiiiiiiquait chez le voisin de Gougoui… où les poules étaient, peut-être, plus nombreuses, plus jeunes ou plus jolies (avec un petit ruban de tissus rouge, accroché à une de leurs ailes… ce qui leur allait à ravir), avaient un cul plus rebondi et pondaient de plus beaux œufs, plus gros, en plus grand nombre... mais où il allait tôt ou tard
- Ici aussi, non ?
- Oui, d’accord… mais en l’honneur d’un parent du chef du village venu levisiter ! Ce n’est pas tout à fait la même chose !
se faire manger… par le Vieux, jamais en retard
- Il l’aurait emporté avec lui dans la forêt, en pleine nuit, vers deux heures du matin, dans un lieu inconnu… où les Anciens se retrouvent et tiennent des conciliabules secrets… et l’aurait offert en sacrifice !
d’une sorcellerie, d’une méchanceté, d’une fourberie, d’une machination ou d’une imprécation… toujours en pleine forme, débordant d’activités, cultivant ses champs, bougonnant, grommelant, furetant, espionnant et braconnant, chassant le lièvre et l’agouti, allumant des feux de brousse, fabriquant et plaçant ses pièges… et ses gris-gris… toujours vaillant… et qui vient encore de rendre pleine sa deuxième épouse et de lui faire des jumeaux...



Nassogne.
Chambre n°4.

Un tout petit coup frappé
- Oui ?
apparemment, à la porte de la chambre de Yovo Yovo Bonsoir, tôt ce matin… timide, prudent, craintif, modeste, réservé… puis un autre encore

- Wiiiiiiiii ?
quelques secondes plus tard… puis un autre… un autre… un autre… Cela signifie-t-il quelque chose
-
Une petite souris gratte à ma porte et me réclame des câlins ? Est-ce donc toi, ma petite pancréatite ? Te voilà enfin revenue ?
- Yovo Yovo, Bonsoir !
- Ça va bien ?

- Ça ne va pas du tout, Yovo ! Tu débloques totalement ? Ce n’est pas ta pancréatite qui est revenue te voir, c’est simplement Diane qui balaye le couloir ! Comme d’habitude, tous les matins ! Qu’est-ce que tu t’imagines ? Ce n’est pas parce que tu loges dans « la chambre des écrivains » que tu dois te mettre à gamberger ! C’est Diane, Chantal ou Clémentine, quoi !
ou rien du tout ?



Nassogne.
Canton de Badja.

A Nassogne, c’est Nestor, le cuisinier français (à ne pas confondre avec Yao, l’ancien cuisinier allemand) qui… après avoir connu quelques aventures et mésaventures, ordinaires et extraordinaires, conjugales et extraconjugales, à la maison et en dehors de la maison… allume de nouveau les feux, tue et plume le coq noir et félon, coupe les oignons, pèle les ignames, fait chauffer les marmites, prépare le djinkoumé (la pâte rouge dont raffolent les féticheurs et les sorciers) et le djongoli…
Six fois grand-père, bon connaisseur de la cuisine togolaise et

- Il s’en glorifie !
spécialiste aussi du canard à l’orange, du bœuf bourguignon et de la sauce « mort-née »… mais friand de sodabi… Nestor avait, ces derniers temps, déserté
- Ou en avait-il été chassé ? Après une cuite certainement mémorable ? En public, devant des clients, un jour de fête ou de réception officielle ? Le chef-canton était présent ? Le CB et le préfet de l’Avé aussi ?

Nassogne…

Nestor vivait, depuis lors, de petits boulots… Et c’est ainsi qu’il vient de se taper trois mois de taule à Lomé pour avoir vendu en fraude des billets de la loterie du Ghana.
A peine sorti de prison et revenu chez lui, à Bagbe… Nestor s’est rendu compte

- Oh !
avec stupéfaction, qu’il n’avait plus de femme. Profitant de son absence, quelqu’un lui avait volé sa dernière épouse.

Libéré, dégrisé, mais chômeur… et sans plus personne à la maison pour lui préparer à manger

- Chez lui, un cuisinier ne fait jamais la cuisine, il mange ce que sa femme lui prépare !

Nestor est donc revenu travailler à Nassogne, chez Gougoui… gagner un salaire, toucher bientôt une avance… et les moyens de s’offrir une prochaine défonce… ou une nouvelle compagne.




Nassogne
Chambre n°4.

La nuit dernière était longue, particulièrement obscure, sans lune et sans la moindre étoile. Elle passait très lentement, cette nuit-là… Très, très lentement…
Pas de coups de tonnerre ni de ciel zébré d’éclairs… repérant leur proie et frappant un fugitif. Pas de rafales de vent furieux. Pas de battements d’ailes d’une sorcière ou d’un oiseau de nuit. Ni même le son plaintif d’une chauve-souris souffrant d’une rage de dents. Ni même le chant d’un coq insomniaque, ayant repéré une colonne de fourmis « magnas », venant de chez le Vieux et se dirigeant vers Nassogne, et donnant aussitôt l’alerte… auquel un autre, plus loin, aurait répondu…
Il faisait chaud, très chaud… Quelques palmiers indifférents et poussiéreux, peu sensibles aux piqûres des moustiques, montaient la garde devant le portail, par habitude, sans échanger aucune parole, en somnolant, sans ronfler… sans même s’ébrouer ni secouer leurs palmes.

Vers trois heures du matin, cependant, un jeune chien

- Celui d’Ivoirien ?
s’est mis à japper, japper et n’a pas arrêté de japper
- Des rôdeurs qui passaient sur la route de Todomé ? Des féticheurs ? Une chouette-sorcière et un coq noir qui se disputaient un arbre ? Un voleur d’ignames, de maïs ou de cosettes de manioc ? Une veuve chevauchée par un vaudou ? Kossi venu siphonner le réservoir du groupe électrogène de Gougoui pour le compte d’un Zémidjan d’Assahoun ou de Badja ? Le Vieux qui plaçait ou qui relevait des pièges ?
japper, japper japper
- Quelle musique tu nous chantes maintenant, Yovo ? Encore un effet magique de la chambre n°4 ? Ce n’était pas un chien, c’était une grenouille j’te dis ! Ou même des criquets ! Ou des sauterelles venues du Nord ! Tu as les oreilles au cul ?
japper, japper, japper, japper pendant des heures pour que la nuit avance et qu’elle finisse par passer son chemin et par céder la place au jour…

Et c’est ce matin-là que Yovo Yovo Bonsoir apprend, par un sms d’Ana,
le décès d’un copain, Jean-Emile (alias Je)…

Jean-Emile est donc parti. Disparu

-
De cet ami-là, on peut vraiment dire qu’il s’agit d’un grand mort ! Et, de toute manière, au Togo, il n’y a pas de petit mort ! Tous les morts sont grands ! On ne rapetisse2 pas les morts, on les agrandit !
en mer, au large, définitivement. Sans prévenir, en secret, poliment. Sans déranger. Sans donner à ses copains l’occasion de lui dire au revoir.

Sans même que Yovo Yovo Bonsoir ait pu écrire l’histoire de sa vie

- « Je » ! Quel autre titre lui donner, à son histoire ?
comme il le lui avait demandé… un jour de cuite bien partagée, au Tournant… un bistro-resto situé juste à côté de la Mandibule à Ixelles-Matonge… un bistro-resto qui était aussi le bouge-repaire de Jipéji… où ce râleur… toujours assis sur le même tabouret de bar, à l’affût… très avenant, de prime abord et puis, l’alcool aidant, devenant querelleur… cette industrieuse et
- Certains rechignaient !
patiente araignée… tissait une grande toile dans laquelle il s’efforçait d’enfermer, autour de lui
- Pour se guérir du blues et de la saudade ? Et pour se prémunir contre la solitude ?
l’ensemble de ses amis et connaissances, tous clients de Michel et d’Odile, les patrons du lieu…

Aujourd’hui est une journée « ville morte »

- Organisée par les partisans de Jean-Pierre Fabre (l’ancien adjoint de Gilchrist Olympio, le nouvel « opposant irréductible »… qui se déclare à présent « président élu »… et qui, chaque semaine, tous les samedis, dans la matinée, avant que les autorités n’aient sifflé « la fin de la récréation », organisait une marche de protestation dans les rues de la capitale) ? Ou par les taximen (réclamant une diminution du prix de l’essence qui, prétendent-ils, leur avait été promise) ?

à Lomé.
Est-ce encore le temps d’écrire ?

Partout.
Dans le monde entier.

Yovo Yovo Bonsoir constate que, dans le monde entier, il n’y a plus de respect.

C’est ainsi que les cireurs de chaussures

- Cela les distrait de leur travail !
sont à présent plus lettrés que des ayatollahs de Qom ou des chanoines de Nassogne et se permettent même de lire
- Et de donner leur point de vue ! Et de contredire l’information officielle ! Et de faire circuler des potins et des rumeurs vachement plus drôles et souvent plus pertinents !
avec insolence, le journal
- Sika’a ? Le Soir ? Le Potentiel ? Le Manager grognon ?
que Yovo Yovo Bonsoir, assis sur une caisse de légumes, un tabouret de bar, un baffle, une pierre tombale ou un casier de bière, à l’aise… comme sur des toilettes de l’aéroport de Zaventem… feuillette négligemment en se marrant.

Badja.
Chef-lieu du canton de Badja.

A Badja, il n’y a généralement pas de cireurs de chaussures… le long de la grand-route, devant le Las Vegas ou près du marché…

Ce sont les Zémidjans, les Z-men… transportant tout, observant tout, entendant tout… qui véhiculent l’information.
Les Z-men, en effet, sont toujours au courant

- Dans quelle forêt les Anciens se retrouvent-ils la nuit ? Ivoirien et le Vieux sont-ils encore amis pour la vie ou se sont-ils déjà disputés à mort ? Qui a volé la poule et les huit poussins de Nassogne ? Quels sont les réparateurs de groupes électrogènes auxquels on ne peut pas se fier… parce qu’ils ont l’habitude d’inventer des pannes ? Et quels sont les médecins très attentionnés qui sont réputés diagnostiquer des maladies très onéreuses ? Chez qui Nestor va-t-il boire du sodabi à la nuit tombée ? Qui a déterré des ignames ou des cosettes de manioc dans le champ d’Ivoirien ? A quel prix se vendent les choux blancs au marché de Noépé ? Et à celui d’Assahoun ? Sur quel arbre du Vieux, le coq noir et félon de Gougoui s’est-il perché et en compagnie de quelle sorcière a-t-il passé la nuit ?

de tout… et ils sont toujours prêts à venir

- Au CB ? A Gougoui ? A Kodjo, à Kumi ou à l’Ivoirien ? Au préfet de l’Avé ?
rapporter… et même, parfois, dit-on
- Crise ! Bizness ! Tous les coups sont permis !
à donner des renseignements à des « gens de Lomé » ou des « Ghanéens » de leur connaissance (les voleurs viennent toujours d’ailleurs) intéressés à faire des mauvais coups dans la région…

Nassogne.
Chambre n°4.

Yovo Yovo Bonsoir soliloque :

Satan ne m’a pas oublié.
- Yovo Yovo, bonsoir ! Satan n’oublie jamais !
Satan ne me lâche pas. Satan, les mains gonflées de grosses veines, toujours derrière son PC ou plongé dans un bouquin de recettes maléfiques, continue de veiller sur moi.
- Yovo Yovo, bonsoir ! Satan ne lâche jamais ses prises !

Ainsi donc, rappelée par Satan, la pancréatite va-t-elle revenir me tourmenter ? Pourra-t-elle, en cachette des sodjas ou avec leur complicité, s’évader de son village d’origine, sur la route d’Atakpamé (où les médecins de l’hôpital Saint-Joseph avaient réussi à la faire reléguer), descendre à Lomé en minibus, prendre place dans un taxi collectif qui fait la route de Kpalimé, dépasser Adidogomé, Sanguera (et
- Efio ! Azi ! Pain ! Mouchoirs en papier !
son poste de péage), Aképé, Noépé, Bagbé (et
- Oranges ! Tomates ! Ananas ! Bananes plantain séchées ! Efio ! Azi ! Edje ! Abobo ! Noix sucrées ! Oeufs ! Sel du Ghana! Brochettes d’escargots !
son marché frontalier) et, une fois arrivée à Badja, juste après les établissements Eureka (vente de ciments) et le salon de coiffure Jérusalem (pour dames uniquement), traverser la nationale, obliquer à gauche, dans la direction de Todomé, gagner enfin Nassogne, frapper doucement
- Yovo Yovo, bonsoir ! Ça va bien ? Je te retrouve enfin !
- Tu ne m’as donc pas oublié ?
- Je t’aiiiiiiiiime toujours, Yovo ! Je n’ai jamais cessé de t’aimer ! Comment aurais-je pu t’oublier ! Je savais bien que tu allais, tôt ou tard, me revenir ! On va pouvoir se remettre ensemble !

à la porte de la chambre n°4, vers quatre heures du matin, et
- Après je t'invite à bien me soigner ! Et à m'offrir une bouteille (puis deux, puis trois, puis quatre) d'Awoyoo au Réservoir, en face du siège central de la caisse de sécurité sociale ... C'est un bar en plein air où la musique est très bonne ! Les brochettes et la pintade aussi ! Le poisson également... mais je me rappelle que tu n'aimes pas le poisson, à cause des arêtes, non ?

se glisser de nouveau dans mon lit ?

Yovo Yovo Bonsoir commence sérieusement à s’inquiéter.

- Interdiction, désormais, de manger de la banane et de l’ananas ? Les cochons de lait ne peuvent plus être grillés mais bouillis ? Et les frites doivent-elle être cuites à l’étuvée et servies en purée ? Et les choux préparés crus, en salade, sans huile ?
- Alleluiah ! ricane Satan…
Devra-t-il terminer son séjour à Nassogne comme un misérable ? Et se tordre de douleurs dans la chambre n°4, allongé sur le carrelage, à la recherche d’un peu de fraîcheur ? Le souffle court, la tête qui pèse et
- Alleluiah ! se réjouit Satan… Tu vas peut-être, enfin, pouvoir t’abandonner, Yovo ! Et laisser ton corps entrer en transes et accepter d’être chevauché par un vaudou !
qui tourne, tourne, tourne… la démarche vacillante, le cerveau embrumé, les membres gourds, les urines trop claires ou

- Alleluiah ! Tu n’es donc jamais content de ce que tu as, Yovo ? s’esclaffe Satan… Tu es vraiment très difficile à satisfaire ! Et cesse de te regarder tout le temps, tu n’es quand même pas le nombril de Nassogne !

trop foncées, les jambes flageolantes, les pieds lourds comme des sabots, les doigts-crapauds, les orteils boudinés, les tripes torsionnées… et qui picotent, picotent, picotent, picotent… un tisonnier chauffé à blanc (ou la pointe acérée d’une lance trempée dans du citron, du piment ou de l’acide) enfoncé profondément dans le bas-ventre... Sans alcool (sans même

- Jusqu’à la fin dernière des temps…
- Alleluiah ! jubile Satan… Mais si tu viens t’installer à la maison, Yovo, je t’offrirai tout ce que tu voudras ! Moi aussi je tiens une chambre n°4 à ta disposition !
une grande bouteille de deha fraîchement tiré… ou trois ou quatre bonnes mesures d’un excellent sodabi), sans viande persillée, sans cochon de lait grillé, sans bloms, sans huile rouge, sans sauce épinard (avec du gros poisson fumé entier, du bœuf, du crabe, du poulet, des graines de courge et du piment), sans ignames grillées, sans tabac à chiquer ou à priser, sans même
- Alleluiah ! se désole Satan… Mais si tu viens chez moi, la petite pancréatite pourra te rendre visite tous les jours ! Et rester dormir dans la chambre n°4 que je t’aurai réservée ! Je ne suis pas bégueule !
une petite femme aimante, rissolée dans une poêle en fonte, avec des oignons, des tomates coupées en rondelles et des ignames… servie toute chaude au petit-déjeuner… et saupoudrée de gari bien croquant ?

Oh ! Mais qu’est-ce que le Togo va penser de Yovo Yovo Bonsoir ? Va-t-il déchoir encore, manquer à ses hôtes et leur faire affront ? Va-t-on, de nouveau, être obligé de le renvoyer dans ses foyers ?

Nassogne.
La forêt et les villages des environs.

Yovo Yovo Bonsoir osera-t-il, un jour, faire lire à sa femme mariée et raconter à ses petits-enfants cette histoire forestière

- Fausse, évidemment !
triste et lamentable, qui lui ressemble et qui pourrait fort bien être la sienne… l’histoire de Reine et
- Une pisseuse, à peine formée !
du Petit Chaperon rouge ?

Reine est une femme magnifique, une brune capiteuse à la chevelure flamboyante relevée en chignon… elle se promène toujours tête nue, la nuque bien dégagée, prête à recevoir des bisous dans le cou… Elle ne porte jamais de foulard et encore moins de chapeau… Reine, gaillarde plantureuse et bien plantée… comme un poêle ardennais à trois étages : la figure poupine et lumineuse, la poitrine généreuse et haletante, les fesses solides et frémissantes… est la superbe
- Mais pauvre alors… pauuuvre !
veuve d’un forestier qui était mort et enterré, depuis déjà longtemps, emporté par une maladie du foie, sans lui avoir rien laissé sauf une maison vétuste et mal entretenue… et sans même
- Et pourtant j’ai tout essayé, je l’appelais sur son portable et je le suppliais de rentrer à la maison… Je m’énervais, je lui ordonnais même de quitter IMMEDIATEMENT le café de Marloie ou le bordel d’Hargimont ou de Marche-en-Famenne dans lequel il aimait trainer toute la nuit... Je lui disais : dépêche-toi, chéri, je t’attends, fais vite, SINON…
- Sinon quoi ?
- Sinon… sinon tu vas rater, tu vas rater…
- Rater quoi ?
- Rater le moment de mon ovulation, tiens ! Je lui disais ça mais il rigolait, ce fumier ! Il rigolait, ricanait, m’injuriait, m’engueulait, m’envoyait bouler, me raccrochait au nez… et éteignait son appareil. A plusieurs reprises et en utilisant tous les moyens possibles
(les neuvaines à la Vierge, les plantes, les racines, les écorces, les mousses, les champignons, les toiles d'araignée, les bouses de vache, les entrailles de cochon, les crânes de choucas, les carcasses de moutons, les règles de nonnes, l’eau bénite et les bougies, les lotions et les potions, les cartes et les dés, les scapulaires, les médailles et les amulettes) j’ai encore essayé de l’obliger à accomplir ses devoirs conjugaux… mais sans plus de résultats… Par la suite, je me suis calmée, j’ai essayé de comprendre… Et je n’ai rien compris du tout mais je me suis découragée, j’ai fermé ma gueule et j’ai laissé tomber… Cette histoire me reste encore dans le gésier…
l’avoir enceintée, lui avoir fait des enfants qui auraient grandi… et qui, eux-mêmes, lui auraient donné des petits-enfants…

Trimardeuse aux abondantes

- Les hommes de la forêt adorent les femmes velues ! Ils ne supportent pas les femmes épilées et rasées de près, l’horreur ! des magazines !
pilosités, aux chairs somptueuses bien que légèrement défraîchies, Reine, la cinquantaine bien avancée, un peu braque mais pas idiote, aime la fréquentation des hommes et
- Surtout pendant le bonne saison, les fins de semaine, histoire de mettre un peu de sous de côté… au noir… faire des provisions de bûches, de gnole, de tabac à rouler, de salaisons et de pommes de terre (à préparer en potée avec du lard, des carottes et du chou) pour passer l’hiver tranquillement… au chaud, toute seule, à la maison !
n’hésite pas à déambuler le long des routes, tendre des collets et battre les buissons pour débusquer son gibier…

Osons ! Voici donc cette histoire de Reine et
- Une sale gamine, une petite peste, une allumeuse !
du Petit Chaperon rouge que Yovo Yovo Bonsoir hésitait à faire lire à sa femme mariée et à raconter à ses kokos :

Il était une fois…
Comme chaque vendredi, du printemps à l’automne, quand le temps le permettait, la reine des champignons

- Attention, certains sont vénéneux !
des baies, des myrtilles et des fraises des bois
- Il n’y a pas beaucoup de fourmis ici… mais gare aux taons quand même ! Attention également aux fruits mûrs et à la mousse humide ! Ça tache les fesses et ça peut laisser des traces… vachement compromettantes !
- On fait comment alors ?
- On se débrouille comme on peut, mon lapin ! On étale de la paille ou du foin sur le sol… On étend une bâche, un vieil imperméable ou une couverture par terre
3! Tu n’as pas ça dans ta charrette ou dans ta bagnole ?
feignait, ce jour-là, d’attendre un autobus du TEC (qui, de toute manière, ne passait, au mieux, que deux fois par jour : tôt le matin et en début de soirée) ou de faire de l’autostop, au bord de la route, s’abritant du crachin sous un parapluie ou se protégeant du soleil en dessous d’un feuillu… depuis des heures, des heures… Et le jour déclinait et la nuit tombait… et personne, personne
- La galère !
personne ne prenait la peine de s’arrêter… Et personne, non plus, n’appelait Reine sur son portable…

Ces derniers mois, en effet, c’était la crise…
Les affaires n’allaient plus très bien. Et Reine se tapait

- Plus personne ne m’aime ! Bientôt, je ne saurai plus quoi faire de mon corps !
une grosse déprime:
J’ai l’impression que les miroirs ne scintillent plus comme avant. Et que les grands phares des tracteurs, des jeeps et des camions ne s’allument plus comme avant. Et que les feux des voitures ne clignotent plus comme avant. Et que même les rétroviseurs des motocyclettes et des vélos ne lancent plus autant d’éclairs qu’avant…
Comment dois-je comprendre ça ? Je ne suis plus la même qu’avant ? Ai-je changé, peu à peu, sans même m’en rendre compte ?

Aujourd’hui, vendredi, en fin de semaine, la reine des routes, des chemins vicinaux et des sentiers de la forêt

- Reine depuis trop d’années ?
se sentait lourde et sans entrain… désenchantée, désabusée, dépourvue de charme et de talents…

Des doutes l’assaillaient :

Je sais que je connais bien mon affaire et que je mets toujours les hommes en appétit mais j’ai le sentiment que mon humeur s’est aigrie et que ma beauté s’est altérée. Je ne ris plus et ne saute plus et ne pirouette plus et ne cabriole plus et ne voltige plus et ne rebondit plus comme avant…

Je me sens parfois, au plus profond de moi-même, toute chagrinée… abimée, poussive, boursoufflée, éreintée, vermoulue, chiffonnée… Je me sens comme un miroir fatigué qui aurait vu passer tellement de monde qu’il ne reconnaîtrait plus personne…

Certes, mes amoureux, mes réguliers… des bûcherons, des débardeurs et des chauffeurs-grumiers, des élagueurs, des scieurs de long, des fagoteurs, des charbonniers, des sylviculteurs, des apiculteurs, des exploitants de séchoirs à tabac ou de moulins à eau, des couvreurs et des ardoisiers, des forgerons et des maréchaux-ferrants, des sabotiers, des sourciers et des puisatiers, des tourbiers et des salpêtriers, des pêcheurs à la ligne ou au lancer, des chasseurs… et même

- Ils ne sont pas tous mauvais !
des gardes forestiers, des gardes-chasse, des gardes champêtres et des gardes-pêche, mais aussi
- Des promeneurs, des marcheurs, des « amoureux de la nature » ?
- Jamais ! Ils ne disent jamais d’où ils viennent, ces gens-là … On ne peut pas savoir de quel village ils sont, ni ce qu’ils ont dans la culotte. On ne peut pas vraiment leur faire confiance... On doit se méfier…

des barakis, des braconniers, des rebouteux et des sorciers
, des trafiquants et des contrebandiers, des assassins en cavale (parfois de « bonne famille » comme, à la fin du XIXe siècle, le Prince Napoléon), des maris fugitifs, d'épouses déviantes, des soldats déserteurs, des instituteurs subversifs chassés de l’école des Soeurs, des distillateurs clandestins de pekèt, des insoumis, des prêtres réfractaires ou défroqués… me sont toujours restés fidèles, je connais leurs couilles depuis tellement d’années !

Ces vieux amis, continuent de me rendre visite, de m’amener des clopes, de faire quelques petites courses pour moi, de m’acheter

- Avec beaucoup de sel, mon lapin !
des sachets de frites à Saint-Hubert, Forrières, Jemelle ou même, quelquefois, à Marloie ou sur la route de Rochefort
- Avec deux cervelas, du pickles et de la sauce mayo, s’il te plaît !
des rouleaux de serviettes en papier, du PQ, des préservatifs, des pilules et des tampons hygiéniques, des cartes téléphoniques, des cannettes de bière ou des bouteilles de vin… et de pique-niquer avec moi (amenant leur boire et leur manger dans des paniers d’osier fermés avec des ficelles) et de tailler bavette avec moi et de faire appel
- Ils sont quelquefois un peu embarrassés ! Ils invoquent des problèmes de prostate ! Le démarrage n’est pas toujours évident ! Ce sont des choses qui arrivent avec l’âge ! Même chez les butors et les forgerons ! Même chez les taureaux et les vigoureux chevaux de trait ardennais ! Je comprends ça ! Il faut parfois aider la nature et donner un petit coup de manivelle !
à mes services et de me raconter leurs bonheurs et de me seriner leurs malheurs, de plaisanter, de potiner, de se bidonner, de faire le malin et de tourner les autres en ridicule, de se plaindre de tout et de rien… et finissent toujours par me confier le soin de régler leurs soupapes et de purger leurs rognons mais
- Ils font valoir qu’ils sont devenus vieux et que les métiers de la forêt4 ne marchent plus comme avant : ils n’ont plus beaucoup de travail, à présent, on fait moins souvent appel à eux… leurs revenus sont, maintenant, limités… Ils sont gênés d’avouer ça mais je les comprends ! Quelquefois, ils me demandent une remise, de leur faire crédit… ou même de leur avancer du pognon !
ils n’assurent plus comme avant...

Mis à la retraite ou partis travailler ailleurs (mais les usines et
les casernes ferment et les chemins de fer n’embauchent plus)… ou devenus chômeurs de longue durée ou indigents structurels relevant du centre public d’aide sociale, mes soupirants ne sont plus guère en mesure
- Les factures, les dettes, les huissiers, les amendes, la redevance TV, le chauffage et l’électricité, le précompte immobilier, les cotisations sociales, les médicaments… la femme de la maison qui s’aigrit… et qui, chaque soir, fait les comptes et ne laisse plus sortir son homme comme avant, fouille ses poches, confisque les clefs de sa voiture… le prix du lard, du pain, des pommes de terre, de l’essence, des cigarettes et de la bière qui ne cesse d’augmenter… les enfants, les petits-enfants… les visites de l’assistante sociale et tous les justificatifs qu’on doit lui fournir… Il faut comprendre, Reine…
- Je comprends, mon lapin !

de venir me voir aussi souvent qu’avant et de me couvrir de cadeaux comme dans le bon vieux temps : des boucles d’oreille, des bracelets ou des colliers de pacotille, une invitation à boire

- De la Faysanne, au Rimbaud, à Saint-Hubert, s’il te plait !
- On n’en fabrique plus, Reine ! La brasserie a été rachetée… et aussitôt fermée ! Qu’est-ce que tu veux que je te ramène ? De la Chouffe, de la Chimay, de la Rochefort, de la Saint-Monon ?
quelques godets dans un caberdouche ou un estaminet, un tour de manège à une kermesse de village… et même une promesse
- Je ne te mens pas, Reine, je te dis la vérité vraie ! Fais-moi plaisir, défais tes cheveux et laisse-les retomber sur les épaules ! C’est ainsi que je te préfère ! Dès que la bourgeoise aura avalé son dentier, je t’épouse…
de mariage…
Mes prétendants ne sont plus aussi généreux, enthousiastes et rigolards qu’avant…

La reine des pauvres et des paumés ne veut cependant pas se laisser abattre. Elle décide qu’il est temps de réagir:

Je suis devenue épaisse et boudinée ? D’accord ! Bientôt j’aurai les seins en gants de toilette ou en oreilles de cocker ? D’accord ! Mon visage va commencer à se plisser et je ressemblerai de plus en plus à une tireuse de cartes ou à une jeteuse de sorts ! D’accord ! L’arthrose me guette et je serai bientôt toute courbée ? D’accord ! Les curés me traitent de foeticide (comme si j’avais encore l’âge de faire des enfants, oh !… spermicide, je comprendrais mieux…) et menacent (comme si j’assistais encore à leurs messes et que j’écoutais toujours leurs sermons, oh !) de m’excommunier ? D’accord ! Faisons avec ! Sachons saisir la floche et tirer profit de la situation !

Reine prend la décision de se transformer en quelqu’un d’autre :

J’en ai marre de toujours devoir comprendre tout le monde... J’en ai marre d’être le cochonnet d’une partie de boules… J’en ai marre d’être toujours la plus drôle et la plus sympathique... J’en ai marre d’avoir été, toute ma vie durant, disponible, attirante, désirable, séduisante, chatoyante, gaie, enjouée, accueillante, charitable et généreuse… Je veux expérimenter de nouveaux sentiments… Je veux, à présent, me sentir coupable de quelque chose de grave et d’important… éprouver ça…

J’ai, à présent, l’âge d’être respectée. Je suis un être humain, une vraie femme, bien réelle. Je ne suis pas un fantasme, ni un en-cas, ni un faire-valoir. Une jeune fille inconnue ne m’a pas mis au monde sous X dans la salle des coffres d’une banque du sperme. A la mort de mon fumier de mari (dont le chanoine, le bourgmestre, le notaire, l’instituteur, le pharmacien et le garde-champêtre se demandaient

- Cette histoire de foie malade, ce n’est pas très clair ! disaient-ils parfois, avec un sourire entendu… On aurait peut-être dû faire une enquête…

encore aujourd’hui si je ne l’avais pas empoisonné avec des champignons ou d’autres trucs bizarres qu’on trouve dans la forêt, tandis que les femmes
- Qu’est-ce qu’elle vient faire par ici, cette traînée, cette salope, cette chienne en chaleur, cette parpayote, cette insolente, cette effrontée, cette envoûteuse, cette femme des bois qui sent le gui, l’herbe et la fougère ? Vient-elle nous provoquer, aguicher nos maris ? Cherche-t-elle à nous narguer ? Qu’est-ce que les hommes lui trouvent ?
du village se posaient beaucoup de questions quand elles me voyaient déambuler… en sifflotant, tête nue, portant une jupe courte, de couleur vermeille ou incarnat, légère comme les pétales d’une fleur de coquelicot… dans les rues sans trottoirs du village : la Grand-rue, la rue d’en haut, la rue d’en bas, la rue des champs, la rue de la forêt…), je n’ai pas voulu nourrir les cochons et soigner les vaches chez un bon chrétien, m’habiller tout en noir, porter un fichu sur la tête et un châle autour des épaules, chausser des bottes, patauger dans le purin, me faire pisser dans la gueule et recevoir des coups de sabot dans l’estomac.

Aurais-je dû, à l’époque, me faire engager comme serveuse ou dame pipi dans un restaurant routier ? J’ai choisi plutôt d’être une femme libre, indépendante, déboutonnée. Je veux, à présent, assumer pleinement ce que je suis. Je veux m’appartenir enfin, ne plus être au service, à la solde et à la merci des autres. Je veux devenir égoïste, ne plus penser qu’à moi-même. Je veux que mon grand cœur d’artichaut se change en galet ou en caillou.
Je veux devenir une sorcière !

Interrogées par Reine, les Anciens et les Anciennes, réunis dans la forêt pour un conciliabule secret, conseillent à leur consultante d’offrir un grand sacrifice

- Lui seul pourra te satisfaire, Reine ! A condition que le cadeau soit d’importance !
à Sataaaaaaaaaaaaaaan.

Le reine des champignons, des baies, des myrtilles et des fraises des bois décide donc de monter un projet scélérat.

Voici son plan :

Je vais convaincre

- T’as toujours la trique, mon lapin ? T’as l’bâton ?
le vieux loup de m’aider… le loup, mon vieux compagnon… et mon touuuuuut premier amour, celui-là même qui m’a déviergée et
- Je le siffle, il s’amène en courant… en jappant, jappant, jappant… comme avant !

qui m’est resté fidèle… et que j’ai longtemps soupçonné

- A quel âge m’as-tu prise, satyre !
- Oui, Reine, mais je ne t’ai pas forcée ! s’indigne le loup…
- J’étais encore une fillette ! J’en suis encore toute remuée ! Tu as dû me bousiller les ovaires, salopard !
d’être un peu pervers… et pédophile… et qui
- Je voudrais que tu me rendes un petit service, mon lapin…
continue d’aimer la viande de chasse, la chair crue, le sang frais…

Je vais convaincre le loup d’être mon complice … et lui confier la mission d’appâter, de séduire et de

- Elle appartient à une famille très pauvre, tu sais ! Sa disparition va grandement soulager ses parents ! Elle vient souvent ramasser du petit bois ou cueillir des champignons dans la forêt ! Elle est encore pucelle, propre et bien élevée ! Elle est saine ! Tu ne risques pas d’attraper des morpions ! Et encore moins le sida ! Je la connais très bien ! Elle vient parfois à la maison me faire un petit coucou ! Elle ressemble à ce que j’étais lorsque tu m’as connue ! Elle pourrait être ma petite fille… si j’avais eu des enfants ! Elle se gonfle les nichons avec du papier de toilette mais je l’ai surprise un jour, dans ma chambre, le torse nu devant le miroir, en train de se frotter la nuque pour regarder ses petits seins pointer… et fouiller dans mes affaires et essayer mon rouge à lèvres et sourire
comme une truie, la garce ! Je me suis dit alors que si je la laissais trop grandir, cette gamine, j’allais avoir des problèmes : elle risquait de devenir une sacrée coureuse… et de me faire une terrible concurrence ! Vas-y, mon loup gris ! Aide-moi ! Il y a urgence ! C’est une question de survie, j’te dis ! C’est un problème de légitime défense ! On est bien d’accord, mon loup d’amour ? J’te l’amène dans ma maisonnette au fond des bois et, après, tu t’en occupes et tu en fais ce que tu veux ? Tout ce que je te demande, c’est qu’elle disparaisse, pour toujours…
couiller et de croquer le Petit Chaperon rouge… de la kidnapper, de la cajoler, de la pâturer… et puis de la dévorer…

Ensuite, quand, après plusieurs semaines ou plusieurs mois de vaines recherches, un orpailleur, un défécateur assailli par des taons et des mouches vertes ou bleues ou un honnête chercheur de truffes retrouvera le squelette (sans plus aucune viande à grignoter auprès des os, tous rongés jusqu’à la moelle) désarticulé et les vêtements déchiquetés et le capuchon décoloré de la gamine sous un tas de fagots, près d’un chemin forestier, au pied d’un arbre où les Allemands avaient, pendant la guerre, enterré en vitesse, dans une tranchée peu profonde, plusieurs caisses de munitions et
37 grenades, je mettrai
- Au nom de Satan !
à prix la tête de l’assassin, je « découvrirai » alors des indices concordants… que j’aurai, entretemps, rassemblés, étiquetés et conservés avec soin (des boutons de braguette explosés, quelques poils pubiens arrachés, une petite culotte déchirée et souillée, un mégot), j’organiserai une grande battue avec mes vieux clients et quelques bonnes copines de Jemelle, de Marche ou de Saint-Hubert et
- Au nom de Satan !
je ferai tuer le loup, mon premier amour… ce vieux galant dépravé que je ne supporte vraiment plus de voir sucrer les fraises un peu plus tous les jours (sa prostate, ses reins, son pancréas, sa vésicule, sa bite) et de se teindre la perruque en fauve et de ressembler à un paillasson décrépit…

Je serai dorénavant une vraie salope !
Je ne devrai plus comprendre personne ! Ce sera aux autres de me comprendre et de me craindre ! Je serai enfin

- Au nom de Satan !
une vraie sorcière cruelle et
- Attention, depuis quelques temps, cette jument a tendance à ruer ! Il ne faut plus lui coller au train !
dangereuse, investie de pouvoirs maléfiques ! L’innocence insolente et la jeunesse insouciante auront été
- Au nom de Satan !
définitivement outragés ! Et mes illusions de jeune fille massacrées et mon premier amour lynché (lapidé, fouetté, poignardé, supplicié, sodomisé, ébouillanté, empalé, éventré, crucifié et décapité) !
Tout le monde, alors, me devra le respect.

Voilà donc le projet scélérat imaginé par la reine des sentiers buissonniers, des chemins de campagne et des routes qui traversent la forêt. Il lui reste maintenant à le mettre à exécution.
En aura-t-elle

- Reine hésite encore un peu… Elle espère toujours pouvoir se refaire… Elle attend que la crise passe et que le commerce reprenne ! Rien n’est encore établi ! Et la p’tite garce au sourire de truie ne va sûrement pas se laisser faire ! Ce n’est pas gagné d’avance !
le coeur ?

Nassogne.
Jours de pluie.

Aujourd’hui, les pieds de Yovo Yovo Bonsoir ont tellement gonflé, gonflé, gonflé, gonflé, goooooonflé

- Et pourtant il ne fait même pas chaud, la pluie n’arrête pas de tomber ! Même à Lomé, certains quartiers sont sous eau ! Il y a eu des morts, des milliers de personnes déplacées, des écoles inondées ! Le Burkina-Faso aussi aurait subi d’importantes inondations ! Et, tout près d’ici, au Bénin, dans le sud du pays, les dégâts provoqués par les dernières pluies serait encore plus graves… On parle d’une une véritable catastrophe !
qu’ils rentrent à peine… à peine, à peine… dans ses bottines. Surtout le pied gauche. Celui qui pèse plus lourd que l’autre… et qui est de plus en plus engourdi.
Yovo Yovo Bonsoir n’arrive presque plus à marcher normalement…

Gougoui lui passe

- Je ne crois pas que cela soit tellement indiqué pour la pancréatite mais on peut toujours essayer ! Et je ne crois pas non plus que les pieds gonflés soient un symptôme de la pancréatite !
un flacon de « pommade de propolis » fabriquée par l’abbaye de l’Ascension à Danyi-Dzogbeban, pommade miraculeuse pour les « soins des plaies, brûlures, hémorroïdes, problèmes de peau ».
On verra bien ce que ça va donner. Vraies ou imaginaires, les « afflictions » dont on se vante réclament toujours qu’on

- Qu’on leur marque de l’attention ? Qu’on leur manifeste un peu d’affection ?
- Qu’on fasse semblant, au moins !
s’occupe d’elles, sinon elles tirent vraiment la gueule et pourraient devenir carrément insupportables.

Quand il pleut, il pleut...
Très, très fort…
Et, quand il pleut très fort, personne ne va aux champs. Les enfants boudent l’école.
Kudjo ne se lève pas avant onze heures.
Même le Vieux ne relève plus ses pièges. Même les poules, les moustiques et les grenouilles se mettent à l’abri.
Yovo Yovo Bonsoir n’écrit pas non plus. Il s’étend sur son lit, dans la chambre n°4.
Yovo Yovo Bonsoir bouquine… et rumine…

Ici.
Et partout ailleurs.

Yovo Yovo Bonsoir grumine et gronchonne :

Difficile, dans ce monde, de trouver un bistrot, un restaurant, une épicerie, une boucherie, une boulangerie, un magasin de fringues, une école, un hôpital, un club de football ou de joueurs de dames, un temple, une mosquée, une synagogue, une église, un musicien, un dealer, un journaliste, un pickpocket, une strip-teaseuse, un écrivain, un livreur de mazout, un fabricant de bières artisanales, un avocat fiscaliste ou

- Ce soir, tu es libre ?
- Je ne serai pas seul ce soir... Tu peux coucher avec quelqu’un d’autre !
- Et demain, dans la journée ?
- Demain ma femme travaille, tu peux venir…
même, tout simplement, un homme ou une femme
- Sauf, peut-être, les barakis… Et encore, ce n’est même pas sûr !

qui soit encore liiiiiiiiibre, indépendant(e), sans attaches ni boulons, qui n’ait pas déjà été acheté(e) et mis(e) aux normes… et qui n’appartienne pas à un « camp »… à un réseau, un régime, une secte, une loge, une confrérie, une gilde, un gang ou à une chaîne cotée en bourse.

Yovo Yovo Bonsoir se pose alors quelques questions :

Comment survivre quand on n’est pas dans le commerce ?
Comment survivre quand on refuse d’être une marchandise (ni vendable, ni échangeable), un produit à consommer (ni comestible), une nouvelle tendance, un parfum à humer, un alcool à déguster, un site à découvrir, un livre à lire absolument, un spectacle à ne pas rater, un article en promotion ?
Comment survivre quand on ne cherche pas à être agréable (ce type est désagréable), qu’on ne signe jamais de contrat avec personne (ce type est déloyal et n’en fait qu’à sa tête), qu’on ne veut plaire et faire la cour à personne (ce type est décidément imprésentable et pourrait même, dans certaines circonstances, se montrer carrément insupportable et désobligeant) et qu’on ne veut ou qu’on ne peut rapporter de l’argent à personne (ce type n’est même pas rentable) ?
Comment survivre quand on ne cherche pas à identifier les créneaux porteurs et qu’on ne répond pas aux attentes du marché ?
Comment survivre quand on n’est pas dans le cadre et qu’on n’est pas non plus hors du cadre ?


Nassogne.
7 heures.

Le matin, à 7 heures Nestor a, comme d’habitude, installé la table du petit-déjeuner… et

- En espérant, sans doute, que Gougoui et Yovo Yovo Bonsoir lui commandent une omelette au gari, avec des tomates et des ignames… comme il les prépare si bien !
mis de grandes fourchettes à la place des petites cuillers.
Y a-t-il un danger de nouveau dérapage ? Est-ce un avant-signe annonciateur d’un prochain orage ? Des nuages se lèvent-ils ? Des démons se sont-ils été réveillés ? Une cuite est-elle imminente ?

Le soir, à 7 heures, Gougoui et Yovo Yovo Bonsoir croqueront à belles dents, avec
-
Du djinkoumé?
une succulente sauce gombo et une excellente pâte
5 de maïs (mélangée avec du manioc de façon à la rendre plus élastique), le coq noir et félon que Kudjo est allé récupérer chez le Vieux.

Demain, dès 7 heures, il fera certainement très beau. Les pieds de Yovo Yovo Bonsoir auront

- On peut l’espérer ! La pommade de propolis aura fini par agir… à supposer qu’elle ait un effet sur le climat et sur les pieds bouffis…
un peu dégonflé. Kudjo se réveillera à l’aube. Les écoliers et les instituteurs reprendront le chemin de l’école. Tout le monde retournera aux champs. Le mécanicien de Badja aussi. Le vendeur de ciment aussi. Le menuisier aussi. Les batteurs
de tam-tam (ceux qui, régulièrement, viennent à Nassogne
répéter avec Gougoui… et quelques musiciens de Lomé aussi... que Gougoui, à cette occasion, invite à passer la journée à Nassogne: un bassiste

un pianiste et, bientôt, un saxophoniste) aussi.
L’infirmier et la couturière aussi. Le chef-canton peut-être aussi. Mais certainement pas les gendarmes

- Les gendarmes achètent ou louent des champs, bien sûr, mais ils ne les cultivent pas eux-mêmes ! Pas même leurs femmes (les femmes de gendarmes ne travaillent pas aux champs… quelle idée ? ce serait extravagant) ! Ils engagent des jeunes gens du village, comme métayers !
ni les Zémidjans, ni le patron ou la patronne du Las Vegas, à supposer que la buvette soit toujours ouverte et qu’elle n’ait pas changé de nom… chargés d’assurer la permanence. Les poules
- Gare aux serpents ! Gare aux oiseaux de proie ! Rappelez-vous qu’une jeune mère de famille nombreuse et ses sept petits ont disparus il n’y a pas si longtemps… et qu’on ne les a jamais retrouvés !
- Pas sept, huit !
- Raison de plus !
- Oui mais il n’est même pas sûr que le coupable soit un serpent ou un oiseau de proie
! Peut-être ont-ils, tout simplement, été écrasés par un camion ou un Zémidjan sur la route de Todomé… ou enlevés par un voisin envieux et malveillant ! Le Vieux ne devait-il pas absolument se venger de la disparition du coq noir ?
emmèneront leurs poussins en promenade.

Yovo Yovo Bonsoir ne passera
pas toute la journée dans la chambre n°4. Il se remuera un peu. Il pourrait même chausser ses bottines et
- Sors de ta tanière, vieux loup ! Bouge un peu, quoi !
aller voir les cochons patauger joyeusement dans la porcherie inondée ?
Au retour, Yovo Yovo Bonsoir se remettra peut-être à écrire…

Et Ivoirien, on n’en parle plus, on l’a oublié ?

Yovo Yovo Bonsoir traverse la route et

- Il n’y avait pas de chien, à l’entrée… qui jappait, jappait, jappait ! Ni de criquets ! Ni de sauterelles venues du nord ! Seulement une chèvre et quelques poules ! Et des ananas, en très grande quantité !

va le saluer.

Ivoirien est occupé à balayer devant sa porte…
Des centaines de petits ananas (six pour cinq cent francs), entassés près de la haie de clôture, attendent.

- Ça t’intéresse, Yovo ?
d’être mis en vente (six pour mille francs) au grand marché hebdomadaire de Noépé qui se tient tous les jeudis… ou au marché d’Adidogomé
- Près de l’endroit où Satangan avait une résidence !

qui se tient le mardi et le samedi... ou à celui d’Assahoun qui se tient le samedi aussi.
Ivoirien (ou, plus exactement, le « jeune » à qui il a loué un de ses champs) les y fera transporter, le matin, très tôt, par un camion
- Cinq mille francs (à négocier) le trajet !
- Et les ananas qui ne trouveront pas preneur ?
- On les laissera sur place… pour ne pas devoir payer encore un trajet de retour !
basé à Todomé ou un taxi pris en location à Badja dont on aura, au préalable retiré la banquette arrière…

Ivoirien

- On l’appelle aussi Togbe, le vieux ! Mais Yovo Yovo Bonsoir préfère lui réserver le nom d’Ivoirien… pour éviter toute confusion avec l’autre, celui chez qui Kudjo est allé récupérer le coq noir et félon !
et le Vieux (celui qui grommelle et bougonne tout le temps) étaient, au départ très amis… Ils organisaient ensemble des rencontres d’Anciens et tenaient des conciliabules secrets, dans la forêt, en pleine nuit, à l’abri des oreilles indiscrètes et des regards trop curieux, vers deux heures du matin… emportant avec eux, dans des sacs de plastique noir, un coq, du djinkoumé, une bouteille de sodabi… et même, dit-on, quelques cierges…
Ivoirien et le Vieux ne se parlent plus à présent. Ils se sont disputés bruyamment, il y a quelques mois, pour toujours…

Ah oui ! Depuis peu, Ivoirien loue une de ses deux pièces à une jeune femme de Lomé qui a trouvé du travail à Badja.

Ailleurs.
A une autre époque.

Yovo Yovo Bonsoir divague

- Le début d’une crise de paludisme ? Sa pancréatite (la diablesse !) serait-elle donc revenue le tourmenter ?
rêve de cochon de lait grillé au four et se transporte ailleurs, très loin.
Dans une autre contrée.
A une autre époque. A l’époque de Jeanne, la sorcière…

Yovo Yovo Bonsoir a étudié bien-bien le dossier de la dite pucelle d’Orléans et, après a voir vu préparer le cochon de lait grillé au four, croit pouvoir faire les constatations suivantes :

C’est seulement après avoir été tondue (le crâne, les sourcils, la moustache, les aisselles, le pubis, les poils des oreilles et du cul), raclée à la paille de fer et grattée, grattée, grattée au couteau ou au rasoir de barbier comme une couenne coriace et pleine d’aspérités (pour lui enlever les grains de beauté, les squames, les croûtes purulentes, les crottes de nez séchées, les poireaux, les furoncles, les bubons, les pustules, les cicatrices, les vergetures et les varices disgracieuses, les hémorroïdes externes, la grosse verrue sur la patate qui l’empêchait de porter des lunettes de myope et les vers blancs qui se logeaient dans les replis de son anus), vidée de toutes ses affaires intérieures (les intestins, l’estomac, les reins, le foie, la vésicule biliaire, la pancréas et l’utérus), enduite de saint chrême, attachée
- On aurait pu l’empaler ou même l’embrocher, non ?
à un pieu ou à un poteau de torture et mise à griller (à cette occasion, des arbres entiers avaient été abattus que les rôtisseurs poussaient dans le brasier à mesure qu’ils se consumaient) sur un grand feu de camp allumé en plein champ par des scouts de France portant un badge de secouriste et de pompier
- Avant d’être cuite à point… encore peuplée de diables vengeurs et farcie de sentiments vénéneux… ni parfumée, ni maquillée… sans jarretelles ni talons aiguilles… venant à peine d’avoir ses klottes et ayant fait sur elle… schlinguant le foutre et les menstrues… empestant le vomi et l’urine des salles de police… suant la peur ignoble et veule de la vache conduite à l’abattoir de Ciney par un bouvier sadique (lui cravachant la croupe, lui cinglant les mamelles et lui enfonçant un aiguillon au plus profond du trou de balle)… elle était immangeable la donzelle… Sa chair, en effet, était d’apparence peu ragoûtante… Désagréable au goût, elle était, probablement aussi, difficile à digérer!

que Jeanne d’Arc a enfin pu être débitée, partagée, dévorée à pleine dents comme un cochon de lait grillé au four… et, une fois purifiée par les flammes, désossée et libérée de son enveloppe charnelle, être expédiée directement au paradis et

- Au nom de Jésus !
proposée à la vénération des foules patriotiques, intégristes, obscurantistes, identitaires, machistes et xénophobes.

Yovo Yovo Bonsoir se lâche encore un peu plus :

Est-il plus profitable ou plus confortable, par les temps qui courent, d’être brûlé vif dans un incendie de forêt

- Malgré le linge mouillé accroché aux fenêtres !
encerclant un village des environs de Moscou ou dans une bagnole
- Les passagers ne parviennent pas à sortir par eux-mêmes du véhicule en flamme ! Et personne n’est en mesure de les désincarcérer et de se porter à leur secours !
qui prend subitement feu après une collision frontale, sur le boulevard du Trente Juin, à Kinshasa ?

Nassogne.
Ici et ailleurs.

Gougoui

- Viens sur la terrasse, je voudrais que tu rencontres quelqu’un !
invite Yovo Yovo Bonsoir à le suivre et lui présente un « pays », Bruno Lumbala.
Triplement « pays » parce que cet ami de Gougoui est originaire

- Oui, je connais bien Aba Selemani qui travaille maintenant à l’Ambassade du Congo à Lomé, comme engagé local !
- Et Vieux Mongol ?
- Vieux Mongol, non ! J’en ai entendu parler, bien sûr, mais je ne le connais pas personnellement !
- Vous direz bonjour à Papa Selemani de ma part… dites-lui que c’est le papa du grand Bakandja qui les salue, le mari d’Ana, il se rappellera peut-être ! Pesa ye mbote !
du Congo, s’est installé au Togo depuis de nombreuses années… et n’ignore pas qu’il existe un village de Nassogne en Belgique… et, à l’incitation de Gougoui, l’a même
- Y compris Coumont… il y avait une bétonnière devant la maison, les nouveaux propriétaires faisaient des travaux sans doute ! Et le Wellingtonia, dans le parc… je l’ai vu et j’ai pris des photos ! Et l’ancienne maison du garde chasse, dans la forêt, la « maison du Prince Napoléon »… elle été remise à neuf et est devenue un restaurant !
déjà visité : « J’avais fait connaissance de


Nassogne au Togo, j’étais curieux de voir à quoi ressemblait




Nassogne
en Belgique... »

On l’aura compris
- Bruno Lumbala est arrivé à point nommé !
il y a deux Nassogne : Nassogne ailleurs et Nassogne ici… Maintenant qu’on est presque arrivé à destination et qu’on s’apprête à fermer boutique, sans doute vaut-il mieux
- Chttttt ! Encore un tout petit peu de patience ! On y est !

mettre ça sur papier, une fois pour toutes… l’écrire noir sur blanc, clairement et sans détours.

Voici donc :

Nassogne « ailleurs » se situe en Wallonie, dans le futur ex-royaume de Belgique (en Ardenne, terre de sorciers… dans la province du Luxembourg, en bordure de la forêt de Saint-Hubert )…
C’est le village du temps passé, l’ancien village d’origine

- Ayant, dit-on, été conçu par un Esprit malin dépêché par Satan, un exorciste l’aurait mis au monde dans la chambre n°4 (la dernière, en forçant un peu, quand on monte à l’étage par le petit escalier de la cuisine, l’escalier « secret ») de la baraque de Mamy, sa grand-mère préférée… en oubliant de le noyer, aussitôt après, dans une bassine d’eau savonneuse ! Yovo Yovo Bonsoir, en effet, était né à Nassogne et y avait passé les plus belles années de son enfance. Il y avait, à l’âge de cinq ans, comme tous les enfants du village, joué à la guerre, pendant la contre-offensive des Ardennes dirigée par un vieux pépé nobliau-nazi, Gerd von Rundstedt (un compatriote de Gustav Nachtigal), maréchal du troisième Reich... Il s’était fait très copain avec un soldat polonais, un jeune instituteur, qui prétendait avoir été incorporé de force dans l’armée allemande et qui (ce que Yovo Yovo Bonsoir, à l’époque, n’arrivait pas à comprendre) disait ne pas aimer la guerre… mais acceptait quand même (tu étais un commissaire politique de l’Armée rouge et moi j’étais un parachutiste anglais, tu étais de la Gestapo et moi j’étais de l’Armée secrète, tu étais un saboteur de l’Irgoun et moi j’étais le grand Mufti de Jérusalem) de jouer à cache-cache avec lui dans les trous d’obus…et lui inculquait des notions d’histoire et de géographie… et même de politique…
de Yovo Yovo Bonsoir… village dont il est aujourd’hui divorcé et
-Vivr la outopia !
libéré pour toujours, après la vente « forcée », pour cause d’indivision, de la maison de sa grand-mère…

Nassogne « ici » se trouve au Togo (dans l’Avé ou « préfecture de la forêt », canton de Badja, en bordure de la route de Todomé, à plus ou moins cinq cent mètres de la nationale qui mène à Kevé, Assahoun, au Mont Agou et à Kpalimé)…
C’est le village du temps présent… un nouveau village rêvé et

- Une OEUVRE !
- Une folie, peut-être ? Une déraison, une magie, un enchantement ?
- Toute œuvre est une folie et toute œuvre est magique !
conçu de toutes pièces par
- S’agirait-il du roi
6 Adandozan et de sa dernière épouse, Sophia de Montaguère ?
Gougoui Kangni et Nicole Laget, le beau-père et la belle-mère de Yovo Yovo Bonsoir… qui ont eux-mêmes, ensemble, seuls, pleins d’enthousiasme, d’imagination et de détermination… convaincus
- Comme un jeune couple qui en veut et qu’aucun doute n’assaille !
de pouvoir refaire le monde, avec leurs propres petits sous et l’aide de quelques parents et amis, conduit tout le projet : choisi et acheté le terrain, dessiné les plans des bâtiments (sur la petite table de cuisine ou de la salle à manger d’un appartement parisien), surveillé (en s’installant sous un manguier) les travaux de construction confiés à Roger Atikpati et à son équipe (Gabriel le chauffeur-pasteur, Fo Bomboma, John le flûtiste…), meublé et décoré les chambres… choisi et planté les arbres du parc, les massifs de fleurs, les haies, le paspalum, tracé les allées… et laissé, un peu partout, des sentiers se dessiner librement et serpenter à leur guise dans l’herbe nouvellement posée…

Et même, s’il arrivait un jour que le roi Adandozan et
Sophia de Montaguère doivent
- La conjoncture ? Les contingences ? Les circonstances de temps et de lieu ? L’histoire et la géographie ? Les « évènements » ? L’économie politique, que sais-je ?
- Jamais ! Une œuvre, c’est un truc qui dure, non ? On ne va quand même pas vendre Nassogne deux fois, oh !
céder leur royaume à vil prix à un infâme acquéreur, Nassogne demeurera, à jamais, dans les mémoires de tous ceux qui l’auront découvert et7 habité !

Ailleurs.
Chambre n°4.

Partout ailleurs dans le monde, près de Zougdidi, dans la région de Briansk ou en bordure de la rivière Khalei, quand Yovo Yovo Bonsoir passe
dans le couloir ou devant la fenêtre de la chambre n°4, il tend l’oreille et il entend tout :

Ouvre-moi ta porte, poupée d’amour, que je t’offre un bouquet de légumes, cueillis à l’aube, de mes propres mains… ou que je te chante une balade ou que je te lise un recette de cuisine de ma composition ! Ouvre-moi tes jambes, salope ! Mais garde tes jarretelles et tes talons aiguilles ! Et laisse-toi faire… que je t’épluche la salade et que je te pèle les tomates… et que je te fouille et que je te farfouille dans tous les sens… et que je te couille sauvagement et que je te coque avec vaillance!

Mais sans doute

- Crevaison, panne d’essence, batterie déchargée, fuite d’huile moteur, bielle fondue, défaut de fabrication ou programmation défectueuse, mauvais équilibrage des pneus ?
ne réussit-on pas toujours à convaincre sa partenaire… car voilà qu’on se fait parfois expulser, bruyamment, avec fureur, par la propriétaire de l’anatomie qu’on se proposait d’investir si hardiment.
- Bima ! Sors de mon corps, vieille bite pourrie ! T’es viré, ganache ! Enlève de ma vue cet appendice grotesque ! Ramasse te limace molle et baveuse qui me souille les affaires intérieures ! Tu n’as plus rien à faire dans ma couche !
- M’enfin, ma p’tite pancréatite, c’est peut-être toi qui… ne bouges pas bien… ou qui ne bouges pas assez, non ?
- Longwa kuna ! Dégage ! Tes défaillances et ton inappétence relèvent de ton domaine exclusif de compétence ! Je n’y suis pour rien ! Pour ce qui me concerne, elles ne sont rien d’autre qu’un manque grave de respect !
- M’enfin, ma p’tite pancréatite chérie, ne le prend pas sur ce ton ! Il faut comprendre… Si tu veux, quand tu te seras calmée, on pourra en discuter…
- Je ne veux rien du tout et je le prends sur le ton qui me convient ! Je n’ai rien à comprendre et il n’y a pas matière à discussion ! Remets ton culotte, lavette, enfile ton pantalon et tes chaussettes puantes… et cesse immédiatement d’exister ! Je te donne l’ordre de quitter mon territoire ! DEREKITIMA ! T’es mort ! Va te choisir un cercueil chez Ikea que tu pourras monter toi-même à la maison, sur ton lit, en regardant un film porno à la télévision, ça t’occupera et te donnera peut-être des idées ! Disparais pour toujours, foutriquet ! Cette conversation est terminée !

Ouais, les insultes au lit

- Une tête de guillotiné, ça peut encore vomir ? Et ça pue toujours de la gueule ?
ne font plaisir à personne !

Surtout dans la chambre n°4 d’une maison de rendez-vous ou d’un petit hôtel très fréquenté de Ndjili (Kinshasa), de Cali (dans la Cordillère occidentale, en Colombie), de Galesburg (Illinois), de Harbin (dans le Hei-Iong-kiang, au nord-est de la Chine) ou de la Porte de Clignancourt (Paris) … où tout s’entend à tous les étages et même dans la rue... où tout se sait, où tout se répète !


Nassogne.
Sika’a.

Ça n’arrête pas de pleuvoir. Les habits ne sèchent pas. Le solaire ne charge pas. L’inspiration ne vient pas…

Yovo Yovo Bonsoir s’ennuyotte, feuillotte des journaux achetés, la veille, par Gougoui (et particulièrement Sika’a, parution du 18 octobre 2O1O,
en vente dans toutes les bonnes stations-service de Lomé… hebdomadaire satirique où on peut lire, notamment, que des « voleurs courageux » ont eu l’audace d’arracher des ignames dans le champ d’un colonel à Kara), plagiotte et s’amusotte à faire
- Et un peu de broderie aussi…
des collages… comme André Stas, son pote, son zigue…

Voici ce que ça donne :

Dans un village nouvellement électrifié, le soir, juste avant de s’endormir, un homme, un veuf, réputé ombrageux et qui n’était guère apprécié par son voisinage, est monté sur une chaise ou un tabouret pour éteindre

- L’ampoule a refusé !
une ampoule allumée… en soufflant, soufflant, soufflant, soufflant dessus de toutes ses forces mais… à force de s’exciter, de s’énerver, de s’emporter, de tempêter, de vociférer et de s’agiter dans tous les sens… sans doute a-t-il lancé un bras en l’air, perdu l’équilibre et finalement
- Cette fois-ci, l’ampoule a bien voulu !
réussi à éteindre la lumière… en fracassant, d’un geste maladroit, l’enveloppe de verre récalcitrante, toute neuve encore, que les mouches n’avaient pas encore eu le temps de cochonner…

L’homme a donc fait exploser l’ampoule… et… scrrrtttttch… a tenté de se raccrocher au fil de la lampe, a entraîné dans sa chute, toute l’installation électrique, le boitier, le câble d’alimentation, ce qui … scrrrtttttch… a provoqué un court-circuit et… scrrrtttttch…scrrrtttttch… un début d’incendie…

Un éclair suivi d’un coup de tonnerre a-t-il donc secoué la maison ? L’homme est-il tombé de sa chaise ou de son tabouret et s’est-il tordu la cheville ou pété la clavicule ? A-t-il dans sa chute renversé une grande bouteille de sodabi dont l’alcool à quatre-vingt degrés s’est aussitôt mis à brûler ? Chevauché par la souffrance, hurlant de douleur et terrorisé par les flammes, l’homme a-t-il eu le réflexe, avant de s’évanouir, de renverser sur le feu… qui commençait à prendre… le contenu plein-plein (4,5 litres) d’
un vieux pot de peinture (Super Leytex, made in Ghana) qui lui tenait lieu de vase de nuit… et
- Cet oubli, dû au veuvage (il n’y a plus de femme ici, on doit tout faire soi-même…) plutôt qu’à la négligence, allait lui sauver la vie !
qu’il n’avait plus vidé depuis au moins deux jours?

A-t-il fallu que le soleil se lève pour que les voisins, suffoqués par les odeurs d’urine bouillie et d’alcool embrasé, épouvantés par les jurons, les imprécations et les malédictions du pauvre homme… et le croyant justement frappé par
Hébiésso (ou Hêviesso), le Dieu de la foudre, en châtiment de quelque infamie ou crime inavouable… osent enfin se porter au secours du sinistré… dont ils craignaient de retrouver le corps foudroyé, entièrement calciné ?

Bon, ouais…
On est bien gentil, on compte jusqu’à trois et

- Gboooooooo !
on explose de rire… à chaudes larmes… et on fait éclater
- Que tout le monde se marre aussi !

une grenade hilarante et lacrymogène… semblable à celles que la Forcep, les « treillis bleus », lançait sur les manifestants, à l’époque de l’élection présidentielle, lorsqu’ils s’en prenaient au mobilier urbain de la ville de Lomé…

Ouais, bon, quoi ? On

- On ne rit pas ! s'indigne Jipéji... On ne rit pas à voix haute du malheur des gens !

peut bien se marrer, non ? Il faut s’occuper !
On n’est quand même pas né

- Sinon on ne prendrait pas la peine de se lever tôt le matin et de se coucher tard le soir, de prendre une douche et de se brosser les dents, de bien manger et de boire trop… de bosser, bosser, bosser toute la journée… et de baiser, baiser, baiser toute la nuit… de vivre et de changer la vie, quoi !
pour mourir...
D’ailleurs la pluie diminue et le soleil, peu à peu, revient… Personne n’est mort ? Ça va bien ? Merci !

Toujours ailleurs.
N’importe où.

Dans la tête d’Yovo Yovo Bonsoir, comme d’habitude… ça voyage et ça débloque :

Une lionne végétarienne aurait-elle
moins d’appétit et serait-elle moins affamée qu’un lion carnivore ? Comment savoir ? Ce qui paraît évident à Yovo Yovo Bonsoir, c’est qu’un lion carnivore… hésitera à épouser
- Serait-elle une poupée d’amour ?
- Ben oui ! Elle lui préparerait quoi à manger, cette maraîchère? Des soupes sans graisse et de la salade sans même une goutte d’huile d’olive ? Des frites mises à mariner dans du vinaigre ? Du chou à l’eau ?
une lionne végétarienne.

Des conflits

- Evidemment ! Si mon mari était devenu herbivore et frugivore comme je lui avais conseillé depuis longtemps, il ne souffrirait pas de la goutte et serait de moins méchante humeur ! Et ses dents gâtées ne l’empêcheraient pas de s’alimenter ! Mais il ne m’écoute jamais !
sont-ils à prévoir au sein du couple ?
Qui imposera ses habitudes alimentaires à l’autre ? Qui va poser sa tête sur l’épaule de l’autre ? Qui va enfoncer sa langue dans la gueule de l’autre ? Qui se mettra dessus, à califourchon, sur le corps de l’autre… le dominera, le chevauchera et l’éperonnera ? Qui va enfoncer son doigt dans l’anus de l’autre ?

Nassogne.
Le champ d’Ana.

Yovo Yovo Bonsoir ne peut pas rester plus longtemps à Nassogne.
Tantine Betena
(alias Ana Jazz, alias Motema Magique, alias Mwana Danzé, alias Catalogue, alias la mère Maraîchère) l’attend.
Les enfants et les kokos aussi.

Quel cadeau offrir à sa femme mariée ? Qu’est-ce qui pourrait bien lui faire plaisir ? se demande Yovo Yovo Bonsoir qui a décidé de voyager

- Comme un jeune homme ! Comme un homme libre,
pas comme un bourricot, oh !
avec seulement un bagage à main (qu’il tient d’ailleurs à ne pas trop charger) et sans aucune valise en soute…

Voici sûrement le cadeau magnifique qu’elle attend impatiemment… en se trémoussant à l’avance: des graines à semer

- Gougoui demandera à Kumi d’en acheter quelques-unes, demain mardi, au marché de Badja !
dans son champs (le sien mais aussi celui de toutes ses copines) à Rhode Saint-Genèse, en région flamande, dans la grande banlieue de Bruxelles…

Ce champ dont Yovo Yovo Bonsoir a mangé tous les légumes mais qu’il
- Lokuta na ye ! s’emporte la mère Maraîchère et reçoit-elle immédiatement le secours de ses complices, toutes prêtes à venir témoigner en sa faveur devant n’importe quel tribunal…
n’a jamais été invité à visiter…

Des graines de fétri (alias gombo)… une variété
- Si ta Maraîchère plante ça à la fin du printemps, dit Gougoui, elle peut espérer avoir une récolte en été, avant la mauvaise saison…
qui est censée pousser rapidement, en deux mois.
Et des graines d’adémé… petits arbustes dont les feuilles
- A cueillir quand elles sont encore jeunes ! Ne pas attendre qu’elles deviennent rouges et dures ! On les enlève au fur et à mesure… et ça repousse… et ça repousse encore…
cuisinées avec de la potasse (ou du bicarbonate, comme à Kinshasa), donnent une sauce gluante qui convient aussi bien à la viande qu’au poulet ou au poisson fumé.

Quelques graines et… ça ne pèse rien du tout… une recette

- Une recette togolaise ?
- Même pas ! La recette d’un vieux livre de cuisine (« Cuisine et vins de France » de Curnonsky, alias « le Prince des Gastronomes », Larousse, 1953 pp 604-605) ayant appartenu à Mamie Marguerite, la grand-mère d’Ana… et que Gougoui… estimant que la cuisine togolaise, sous l’influence de Gustav Nachtigal et de Yao, l’ancien cuisinier allemand, était encline à accommoder le chou de façon trop germanique… a expérimentée avec succès à Nassogne !
La recette du « chou farci au chou » !

La voici donc, cette recette, telle que revue et commentée par Gougoui :

Réserver les 4 premières feuilles de 2 choux

- Le livre parle de choux « de Milan »... Avec les choux blancs de Kévé ou de Noépé, ça marche tout aussi bien ! dit Gougoui…
et les disposer sur une serviette placée dans une terrine, le bord supérieur contre le fond.
Hacher menu le cœur des choux et faire revenir jusqu’à couleur blonde. Faire revenir également 2 oignons, persil haché, sel, poivre. Mélanger le tout avec
- J’en mets seulement quatre et ça me paraît bien suffisant ! Les choux d’ici ne sont pas aussi gros que ceux des marchés de Montreuil et de Belleville… ou que ceux du marché du mardi et du dimanche matin (ah, les andouillettes du dimanche matin!), sur l’avenue Jaurès, en face du parc de la Villette ! dit Gougoui…
6 œufs entiers et un peu de mie de pain trempée dans du lait.
Disposer cette farce dans des feuilles. Nouer la serviette très serrée et placer le tout dans l’eau bouillante

- Attention à ne pas saler deux fois ! dit Gougoui… D’abord la farce et l’eau ensuite,
ça fait beaucoup !
salée : 1 heure et demie de cuisson.
Egoutter. Pour servir, le chou, sorti de la serviette, doit se tenir comme s’il était entier.
Mettre

- On peut zapper cette dernière étape, si on est tenu de suivre un régime sans graisse… C’est tout aussi bon ! dit Gougoui…
un morceau de beurre, couvrir de mie de pain et passer au four.


Ailleurs.
Chambre n°4.

Yovo Yovo Bonsoir est allongé sur son lit, dans la chambre n°4…
A Nassogne et partout ailleurs dans le monde… A Ndjili (Kinshasa), à Cali (dans la Cordillère occidentale, en Colombie), à Galesburg (Illinois), à Harbin (dans le Hei-Iong-kiang, au nord-est de la Chine) ou dans un petit hôtel de la porte de Clignancourt (Paris)…

Parvenu à la fin de son voyage et de son opuscule, Yovo Yovo Bonsoir
se laisse aller alors à rêver… Il se prend même à faire de la politique, à refaire… ou à défaire le monde:

Ah ! Si
Darwin avait passé ses vacances à Ibiza plutôt qu’aux îles Galapagos, il n’aurait pas rencontré Dieu… Simon Bolivar aurait fait arrêter Christophe Colomb dès son arrivée à l’aéroport de La Havane ou de Caracas, lui aurait délivré un ordre de quitter le territoire et
- Bonjour chez vous !

l’aurait renvoyé dans ses foyers, en Espagne ou en Italie, par le même avion… Arthur Rimbaud ne serait pas devenu trafiquant d’armes en Abyssinie ou dans l’est du Congo… Saint Paul, les Croisés et les étudiants en religion des différentes églises chrétiennes orientales n’auraient pas

- Pour que la lubrique cesse de se toucher ! Et qu’aucun amant ne puisse plus, en présence de son mari, faire mine de lui presser loyalement les phalanges… tout en caressant, subrepticement, avec son index, l’intérieur de la paume de l’infidèle, oh !
tranché à la sainte hache les bras de la Vénus de Milo faute d’avoir pu
- Comme on gratte le numéro de série d’une voiture volée… avant de la mettre au turbin et de l’envoyer bosser, dans la vieille ville, avec des faux documents d’identité ! Les manchotes et les sans-papiers ont encore tout ce qu’il faut pour plaire aux clients ! Il y a même des chrétiens qui préfèrent les femmes ainsi : sans existence juridique... sans identité nationale, ni patente,ni cartes de crédit... et sans moyen de chausser des gants de boxe pour se défendre! Ça leur donne des frissons, disent-ils… en plus !

lui râper ou lui limer les empreintes digitales… Karl Marx aurait refusé d’émigrer en Israël et de s’installer dans une colonie de Cisjordanie occupée… Le pape Benoît XVI, marchant à la tête d’une manifestation contre l’avortement et triturant sans cesse les boutons de sa braguette, n’aurait pas

- Je voulais simplement engager la conversation ! Lui parler de père à enfant ! Lui indiquer quel est le vrai chemin !
interrompu, avec étourderie, la promenade d’un jeune fille nudiste portant, dans son sac à dos, dissimulé sous un bouquet d’orties, un essaim de guêpes très énervées… Joseph Staline ne serait pas mort étouffé, au bord de la piscine d’un motel gay de San Francisco, à l’issue d’une soirée bien arrosée, en avalant de travers son dentier (mis à tremper dans un rince-doigts) alors qu’il essayait de le replacer à l’intérieur de la bouche après avoir taillé une bouffarde à Adof Hitler … Gustav Nachtigal
- Le faux jeton, l’entubeur !
aurait été avalé pour un crapaud gobeur de mouches plus menteur que lui-même, à la langue plus gluante et plus fourchue que la sienne… Le président Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Zabanga ne serait pas le fils préféré
- Spirituel ?
- Naturel, ko!
de Monseigneur de Hemptinne, vice-roi du Katanga… La Chine populaire ne s’éveillerait plus avec la gueule de bois et ne chanterait plus, avec arrogance et désinvolture, l’Internationale à l’envers… Le Prince Napoléon n’aurait assassiné personne et ne serait pas devenu gargotier pour touristes dans les bois de Nassogne… Jésus ne serait pas mort d’une overdose, dans les bras de Janis Joplin, au jardin des Oliviers… Nicolas Sarkozy aurait pris sa retraite à cinquante-cinq ans… Les lions carnivores mangeraient du chou farci au chou… Fidel Castro décéderait inopinément sur un terrain de football américain et Barack Obama se verrait attribuer le prix Nobel de la guerre… Je continuerais de croire aux chansons de geste et aux contes de Perrault, aux saintes écritures et à la révolution !
Mawa vraiment !


Nassogne.
Le départ.

Le jour et l’heure sont venus.
Je dois, à présent, quitter Gougoui… et

- Se reverra-t-on jamais ?
tous mes amis et personnages… Abandonner aussi Satangan
- Le grand Satan me donne l’adresse et le numéro de téléphone d’un frère à lui qui a quitté le pays et s’est établi à l’étranger... J’irai lui rendre visite ! J’espère aussi que je pourrai l’aider à régulariser sa situation et à obtenir des papiers… mais je ne promets rien !
et la pancréatite, venue le saluer
- Tu fais ta valise, Yovo ?
- Ben oui !
- Tu t’en vas ?
- Ben oui !
- C’est tout ce que tu as à me dire… après ces longs moments passés ensemble dans la chambre n°4 de Nassogne ?
- Je reconnais que nous avons passé d’excellents moments ensemble, petite pancréatite chérie, des moments de grande intimité, certes, mais je dois, à présent, m’en aller… Je dois rejoindre Mwana Danzé (alias Ana Jazz, alias Motema Magique, alias Tantine Betena, alias Catalogue, alias la mère Maraîchère), ma femme mariée, mon être humain, ma tendresse bourrue… qui m’attend… et sans qui je perds tout mon allant et toute ma légitimité… Je dois aussi lui remettre des graines de fétri et d’adémé de la part de Gougoui… et la recette du chou farci au chou… Tu es jalouse ?
- Kasi !
- C’est bien vrai ? Je vais te manquer ?
- E bongo !
- Tu veux que je te laisse quelque chose ? Un peu d’argent ? Tu sauras te débrouiller toute seule ? Ça ira ?
- Ça n’ira pas du tout et je ne te dis pas merci ! Mais ne crois pas que tu vas t’en tirer comme ça, Yovo ! Il ne faut pas me prendre pour le Petit Chaperon rouge ! On ne recrache pas mes os dans la forêt après les avoir rongés jusqu’à la moelle ! Je ne vais pas me laisser faire, moi ! Je vais te faire
arrêter par les sodjas et leur demander de livrer ton corps aux cruelles fourmis « magnas », Yovo ! Tu vas me sentir longtemps, le Blanc… mufle, ingrat, perfide, imposteur, faussaire, gougnafier, foutriquet !
- M’enfin, p’tite pancréatite chérie… Il faut comprendre…


Fayaaaa !



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NOTES EN BAS DE PAGE

1Rappel (cf « Grand Satan et le paralytique… et la pancréatite ») : Réputées féroces, les fourmis « magnas » ou « magnans », sont des fourmis sodjas ! Noires à pattes rouges (elles auraient reçu une formation analogue à celle des bérets rouges, des bérets verts et des membres de la brigade antigang de Lomé, tout de noir vêtus), bien armées, très entraînées, toujours prêtes au sacrifice suprême, les fourmis « magnas » ne commencent à attaquer
- D’abord elles vérifient si leur prise a des armes, si elle ne dissimule rien sous sa robe ou dans son pantalon, si elle ne cache rien à l’intérieur de ses poches… et, une fois rassurées, elles piiiiquent !
qu’à partir de la ceinture…

On se rappellera de Mawussi, la bien sapée, la souriante (mais aussi la boudeuse, l’alanguie aux mains molles…) qui, lors d’un des premiers séjours de Yovo Yovo Bonsoir à Nassogne, s’était chopée tout un bataillon de fourmis « magnas » dans la petite culotte…
Et comment elle dansait ! Et comment elle sautillait sur place ! Et comment elle s’agitait dans tous les sens et se contorsionnait (et se retenait difficilement de se mettre entièrement nue) ! En criant, criant, criant… comme si elle était chevauchée par un vaudou ! Et comment la mésaventure de Mawussi avait bien fait rigoler les Bomboma, Kossi, Yao et autres Kudjo !

Ceci dit, il est déjà arrivé que, la nuit, des fourmis « magnas » grimpent

- Avec ferveur ! Comme elles pourraient également, dit-on, se lancer vaillamment à l’assaut de la gueule ouverte d’un crocodile faisant la sieste… ou de l’anus d’un hippopotame ou de la trompe d’un éléphant assoupis ! Et périr noyées dans des eaux profondes…
aux arbres… anesthésient et dévorent vivants, pendant qu’ils dorment, les coqs et les poules qui s’y sont perchés…

2 Et pourtant, Jean-Emile Caudron, le mari de Viviane (à eux deux, ils constituaient la célèbre « bande des Codroni » sévissant dans le sud de la Corse, entre Ajaccio et Bonifacio), était un homme qui savait « rapetisser les problèmes »… Il n’est jamais venu à Nassogne mais il a quand même demandé à Yovo Yovo Bonsoir, il y a trois ou quatre ans, s’il y avait toujours, là-bas, dans le village de Nicole et de Gougoui, des sorcières qui logeaient dans les arbres… et qu’on accusait de tous les maux et qu’on poursuivait et qu’on attrapait et qu’on enfermait dans une casserole de terre, sans eau, mise à cuire sur un grand feu de bois et qu’on brûlait vives et qu’on réduisait en cendres… ces cendres étant alors apposées sur le front des enfants pour les protéger du malheur et des êtres malfaisants.
Comment nier ? Mais comment Jean-Emile pouvait-il savoir ?

3 Faire l’amour à la claire fontaine, à la belle étoile, dans les prés
- Commettre une infraction… ET un péché mortel, c’est goûteux !
ou dans les meules de foin… ou dans l’ancienne résidence du garde-chasse de Nassogne, lorsqu’elle était à l’abandon… ou
- Chez moi, dans la petite maison, au cœur de la forêt, le seul bien que mon fumier de défunt mari m’ait laissé en héritage ? Jamais ! C’est privé !

dans la grange ou un appentis d’un pavillon de chasse appartenant à des gens de la ville, le plus souvent inoccupé, à Mochamps… ou, quand il pleuvine ou qu’il fait un peu frais, à l’intérieur d’une voiture en stationnement sur un parking désert du parc à gibier de Saint-Hubert, des gares de Marloie et de Jemelle ou du Fourneau Saint-Michel (à la sortie de la forêt, au pied de la vallée de la Diglette)… c’est à la fortune du pot ! On ne doit pas s’attendre à bénéficier du même confort que dans la chambre n°4 d’une maison de rendez-vous ! On aime faire l’amour dehors, librement, comme les bêtes ? Il faut s’adapter alors ! Les produits frais de la ferme et des bois, ça ne se trouve pas dans les grandes surfaces !


4
La forêt a beaucoup changé… Certains « métiers » des bois ont même carrément disparu… Et sont venus les « pépiniéristes », marchands de sapin de Noël et fournisseurs de supermarchés… et les "négociants en bois" qui se présentent comme des « investisseurs »
soucieux de rentabilité et ayant pour ambition de redynamiser l’exploitation forestière wallonne… et qui sont originaires, quelquefois, de Flandre... et qui décrochent, au détriment des scieries locales, d'importants contrats de vente de grumes à l'Inde ou Chine… et les « gentils
- Ne quittez pas les chemins balisés ? Restez groupés ?
accompagnateurs », bénévoles ou stipendiés par un hôtel, une colonie de vacances ou un syndicat d’initiative local, armés de cannes à bout pointu, qui escortent et
-
N’oubliez pas le pourboire ?
guident des troupeaux
de scouts, de marcheurs, de joggeurs, de touristes écolos et autres estivants, week-endistes et dimanchiers… et de tous ceux qui ont peur de se perdre dans les bois, de croiser le chemin d’un
- Ou même d’une vipère, déguisée en bâton qui se serait échappée de la botte de Givet ou de la région de Philippeville ! Et qui aurait réussi à traverser l’autoroute !
renard atteint de la rage ou de se retrouver nez à nez avec une laie, prête à charger les intrus pour protéger ses marcassins… ou d’être rançonné par le fantôme d’un « résistant », d'un réfractaire au STO ou d’un soldat allemand… ou d’être interpellé par un coupeur de routes à la solde de Guillaume de la Marck, le sanglier des Ardennes…
La forêt n’est plus ce qu’elle était. On dit que même que le Prince Napoléon, jadis garde-chasse à Nassogne, serait devenu gargotier pour touristes…

5Une pâte, pas un foufou ! Un foufou (igname, manioc, plantain), c’est quand on pile ! Un foufou ça n’attend pas, ça se mange tout de suite, quand c’est chaud… sinon ça perd son élasticité. Contrairement à la pâte, le foufou
- Mange, ça refroidit !
ne se réchauffe pas…

6 Kangni Alem, Maître des rituels ou Grand consécrateur, permettra-t-il à Yovo Yovo Bonsoir de transgresser les interdits et de prononcer SON nom ?

7 Et qui ont apposé
- Ngai mpe ! signale Yovo Yovo Bonsoir… Moi aussi !
leur nom ou écrit un message sur les murs du grand couloir, près de la cuisine… ou sur un des murs (à l’entrée, à droite) de la chambre n°4, la chambre des écrivains... qui est aussi (on s’en serait douté) celle des musiciens et de tous les artistes de passage…

NOTES DE FIN

iDans la chambre n°4, en effet, Kangni Alem a
- Beaucoup de délestages à Lomé cette année-là ?
mis la toute dernière main à son dernier roman, intitulé alors (c’est ce qu’il a écrit lui-même sur le mur de la chambre n°4, à droite, en entrant, le 6 septembre 2008) « Le temps des caravelles » et publié ensuite, aux éditions JC Lattès, au début 2009, sous le titre « Esclaves »… Un bouquin avec de la fumée qui pique les yeux, de la sueur, du piment, du sel marin, un ciel strié d’éclairs, des vents violents… avec une parole puissante, une respiration profonde, des odeurs prenantes… Un ouvrage qui contredit aussi certaines « vérités historiques » trop bien établies… ce qui n’a pas dû nécessairement plaire à
- Aux AGO, les Amis de Gilchrist Olympio ?

tout le monde…

Yovo Yovo Bonsoir se rappelle alors que, quelques années plus tôt, avant la vente de la baraque de Mamy, sa grand-mère préférée, In Koli Jean Bofane, avait rédigé les premières

- Ou les dernières, comment savoir ?
pages de son roman « Mathématiques congolaises » dans la chambre n°4 d’un autre Nassogne
- Un autre Nassogne ?
- Chttttt ! Patience ! Les explications viendront plus tard… en leur temps ! Lisez d’abord !
à Coumont, à l’ombre et sous la protection du grand Wellingtonia…

ii Il ne suffit pas de s’installer dans la chambre n°4 et d’y écrire un petit texte bien tassé… Yovo Yovo Bonsoir doit aussi prendre garde à ne pas (trop) décevoir
- Yovo Yovo Bonsoir aurait-il, sans le vouloir ou à dessein, outragé des savoirs confits ou des certitudes béates, mis à mal des fables ou des légendes (et dévoyé des contes de fée ou des récits héroïques… dont on bourre la crâne des peigne-culs pour les bercer d’illusions et mieux les entuber… de telle sorte qu’ils pourrissent, rancissent, tournent à l’aigre et, par un coup de machette magique, se transforment en pipi de serpent), bizuté des doctrines, étrillé des dogmes et maltraité des croyances… Aurait-il aussi bouté le feu aux ailes d’une pintade de Dapaong et à la crinière d’un cheval de Sokodé pour les obliger à fuir ensemble, en amoureux, et les forcer à plonger, avec courage, dans la rivière… et à se libérer, pour toujours, de l’emprise des éleveurs et des propriétaires ?

non seulement Kangni Alem, Sami Tchak, Gougoui Kangni, Gaëtan Noussouglo (alias Ameyibo Bonjour !),
Credo Tetteh… mais aussi
- Que Yovo Yovo Bonsoir puisse aussi devenir le plus Togolais des auteurs du Congo ?
- Ouais ko !

ses frères et sœurs de la République Démocratique du Congo, Achille Ngoye (qui a redonné à Yovo Yovo Bonsoir le goût d’écrire), André Yoka Lye Mudaba (le « patron », le stratège et le commandeur des croyants), In Koli Jean Bofane (alias Fossoyeur Jones… qui travaille de nouveaux personnages hors normes… dont un « pygmée de haute taille », avec téléphone cellulaire et ordinateur portable … et qui continue, continue, continue de le faire grandir), Anastase Nzeza Bilakila (la première personne à avoir "rendus accessibles à un public" des textes de Yovo Yovo Bonsoir…un véritable « éditeur »… qui prenait des risques et ne cherchait pas à se conformer à un marché… et qui publiait les textes qu’il appréciait pour que d’autres puissent les lire aussi), Bibish Mumbu (exilée depuis peu au Canada… et qui commence à manquer beaucoup, beaucoup, beaucoup à son quartier, à sa rue et à sa maison, dans la commune de Bandalungwa), Freddy Tsimba (qui « écrit » toujours aussi puissamment… non seulement à la roquette et au fusil mitrailleur… mais aussi, avec tendresse, à la cuiller et à la fourchette), Vincent Lombume Kalimasi (le discret, le fier, l’insondable… mais aussi l’ancien guitariste des Yss Boys que tout le monde, à l’époque, appelait « Vince »… et qui était, dit-on, le joyeux compagnon de sorties d’Evoloko Joker), Fiston Nasser Mwanza (dont on n’a pas beaucoup de nouvelles
- Qu’est-ce qu’il attend pour se manifester ?
ces derniers temps… mais dont le mandat de stadtschreiber de la ville autrichienne de Graz devrait être arrivé à expiration depuis longtemps, non ?), Chéri Samba (le pamphlétaire et le chroniqueur de la vie des hommes… le « peintre truculent » du dictionnaire Hachette… le complice de toujours).

iii Les amis et personnages que Yovo Yovo Bonsoir se propose d’embaucher à nouveau et de reprendre « là où il les avait laissés » sont, évidemment, ceux de
- « A Nassogne, presque un mois chez Gougoui Kangni » (2005-2OO6)
http://anassogne.blogspot.com/
et de
- « Grand Satan et le paralytique… et la pancréatite » (2006-2007)…
http://grandsatanetlapancreatite.blogspot.com/
deux a-romans (des trucs bizarres, sans ou avec plusieurs queues et plusieurs têtes, des trucs « mystiques », quoi !), résolument impubliables et, effectivement, jamais publiés, qui ont été rédigés tous les deux , paisiblement et (pour ce qui concerne Satangan) douloureusement, dans la chambre n°4…

Certains de ces amis et personnages

- Roger le bâtisseur, Gabriel le chauffeur-pasteur (et maintenant fleuriste) et Yao le cuisinier allemand y sont (simplement) cités !

avaient même déjà fait une toute première apparition, très furtive, dans « mamA NA ngai »…
http://mamanangai.blogspot.com/
un « roman privé » que Yovo Yovo Bonsoir a commencé d’écrire à Aflao-Gakli au moment où Nassogne était encore en construction (2001-2002).