vendredi 5 novembre 2010

Cn4-Extraits en vrac - La reine du Bois de Nassogne et le Petit Chaperon rouge

Didier de Lannoy
La Chambre n°4
Nassogne-Badja 13-31 octobre 2010
Extraits


A propos de Nassogne au Togo, voir aussi:
ou
http://grandsatanetlapancreatite.blogspot.com/
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La reine du Bois de Nassogne et le Petit Chaperon rouge

Nassogne.
La forêt et les villages des environs.

Yovo Yovo Bonsoir osera-t-il, un jour, faire lire à sa femme mariée et raconter à ses petits-enfants cette histoire forestière

- Fausse, évidemment !
triste et lamentable, qui lui ressemble et qui pourrait fort bien être la sienne… l’histoire de Reine et
- Une pisseuse, à peine formée !
du Petit Chaperon rouge ?

Reine est une femme magnifique, une brune capiteuse à la chevelure flamboyante relevée en chignon… elle se promène toujours tête nue, la nuque bien dégagée, prête à recevoir des bisous dans le cou… Elle ne porte jamais de foulard et encore moins de chapeau… Reine, gaillarde plantureuse et bien plantée… comme un poêle ardennais à trois étages : la figure poupine et lumineuse, la poitrine généreuse et haletante, les fesses solides et frémissantes… est la superbe
- Mais pauvre alors… pauuuvre !
veuve d’un forestier qui était mort et enterré, depuis déjà longtemps, emporté par une maladie du foie, sans lui avoir rien laissé sauf une maison vétuste et mal entretenue… et sans même
- Et pourtant j’ai tout essayé, je l’appelais sur son portable et je le suppliais de rentrer à la maison… Je m’énervais, je lui ordonnais même de quitter IMMEDIATEMENT le café de Marloie ou le bordel d’Hargimont ou de Marche en Famenne dans lequel il aimait trainer toute la nuit... Je lui disais : dépêche-toi, chéri, je t’attends, fais vite, SINON…
- Sinon quoi ?
- Sinon… sinon tu vas rater, tu vas rater…
- Rater quoi ?
- Rater le moment de mon ovulation, tiens ! Je lui disais ça mais il rigolait, ce fumier ! Il rigolait, ricanait, m’injuriait, m’engueulait, m’envoyait bouler, me raccrochait au nez… et éteignait son appareil. A plusieurs reprises et en utilisant tous les moyens possibles
(les neuvaines à la Vierge, les plantes, les racines, les écorces, les mousses, les champignons, les toiles d'araignée, les bouses de vache, les entrailles de cochon, les crânes de choucas, les carcasses de moutons, les règles de nonnes, l’eau bénite et les bougies, les lotions et les potions, les cartes et les dés, les scapulaires, les médailles et les amulettes) j’ai encore essayé de l’obliger à accomplir ses devoirs conjugaux… mais sans plus de résultats… Par la suite, je me suis calmée, j’ai essayé de comprendre… Et je n’ai rien compris du tout mais je me suis découragée, j’ai fermé ma gueule et j’ai laissé tomber… Cette histoire me reste encore dans le gésier…
l’avoir enceintée, lui avoir fait des d’enfants qui auraient grandi… et qui, eux-mêmes, lui auraient donné des petits-enfants…

Trimardeuse aux abondantes

- Les hommes de la forêt adorent les femmes velues ! Ils ne supportent pas les femmes épilées et rasées de près, l’horreur ! des magazines !
pilosités, aux chairs somptueuses bien que légèrement défraîchies, Reine, la cinquantaine bien avancée, un peu braque mais pas idiote, aime la fréquentation des hommes et
- Surtout pendant le bonne saison, les fins de semaine, histoire de mettre un peu de sous de côté… au noir… faire des provisions de bûches, de gnole, de tabac à rouler, de salaisons et de pommes de terre (à préparer en potée avec du lard, des carottes et du chou) pour passer l’hiver tranquillement… au chaud, toute seule, à la maison !
n’hésite pas à déambuler le long des routes, tendre des collets et battre les buissons pour débusquer son gibier…

Osons ! Voici donc cette histoire de Reine et
- Une sale gamine, une petite peste, une allumeuse !
du Petit Chaperon rouge que Yovo Yovo Bonsoir hésitait à faire lire à sa femme mariée et à raconter à ses kokos :

Il était une fois…
Comme chaque vendredi, du printemps à l’automne, quand le temps le permettait, la reine des champignons

- Attention, certains sont vénéneux !
des baies, des myrtilles et des fraises des bois
- Il n’y a pas beaucoup de fourmis ici… mais gare aux taons quand même ! Attention également aux fruits mûrs et à la mousse humide ! Ça tache les fesses et ça peut laisse des traces… vachement compromettantes !
- On fait comment alors ?
- On se débrouille comme on peut, mon lapin ! On étale de la paille ou du foin sur le sol… On étend une bâche, un vieil imperméable ou une couverture par terre
1! Tu n’as pas ça dans ta charrette ou dans ta bagnole ?
feignait, ce jour-là, d’attendre un autobus du TEC (qui, de toute manière, ne passait, au mieux, que deux fois par jour : tôt le matin et en début de soirée) ou de faire de l’autostop, au bord de la route, s’abritant du crachin sous un parapluie ou se protégeant du soleil en dessous d’un feuillu… depuis des heures, des heures… Et le jour déclinait et la nuit tombait… et personne, personne
- La galère !
personne ne prenait la peine de s’arrêter… Et personne, non plus, n’appelait Reine sur son portable…

Ces derniers mois, en effet, c’était la crise…
Les affaires n’allaient plus très bien. Et Reine se tapait

- Plus personne ne m’aime ! Bientôt, je ne saurai plus quoi faire de mon corps !
une grosse déprime:
J’ai l’impression que les miroirs ne scintillent plus comme avant. Et que les grands phares des tracteurs, des jeeps et des camions ne s’allument plus comme avant. Et que les feux des voitures ne clignotent plus comme avant. Et que même les rétroviseurs des motocyclettes et des vélos ne lancent plus autant d’éclairs qu’avant…
Comment dois-je comprendre ça ? Je ne suis plus la même qu’avant ? Ai-je changé, peu à peu, sans même m’en rendre compte ?

Aujourd’hui, vendredi, en fin de semaine, la reine des routes, des chemins vicinaux et des sentiers de la forêt

- Reine depuis trop d’années ?
se sentait lourde et sans entrain… désenchantée, désabusée, dépourvue de charme et de talents…

Des doutes l’assaillaient :

Je sais que je connais bien mon affaire et que je mets toujours les hommes en appétit mais j’ai le sentiment que mon humeur s’est aigrie et que ma beauté s’est altérée. Je ne ris plus et ne saute plus et ne pirouette plus et ne cabriole plus et ne voltige plus et ne rebondit plus comme avant…

Je me sens parfois, au plus profond de moi-même, toute chagrinée… abimée, poussive, boursoufflée, éreintée, vermoulue, chiffonnée… Je me sens comme un miroir fatigué qui aurait vu passer tellement de monde qu’il ne reconnaîtrait plus personne…

Certes, mes amoureux, mes réguliers…
des bûcherons, des débardeurs et des chauffeurs-grumiers, des élagueurs, des scieurs de long, des fagoteurs, des charbonniers, des sylviculteurs, des apiculteurs, des exploitants de séchoirs à tabac ou de moulins à eau, des couvreurs et des ardoisiers, des forgerons et des maréchaux-ferrants, des sabotiers, des sourciers et des puisatiers, des tourbiers et des sapêtriers, des pêcheurs à la ligne ou au lancer, des chasseurs… et même
- Ils ne sont pas tous mauvais !
des gardes forestiers, des gardes-chasse, des gardes champêtres et des gardes-pêche, mais aussi
- Des promeneurs, des marcheurs, des « amoureux de la nature » ?
- Jamais ! Ils ne disent jamais d’où ils viennent, ces gens-là … On ne peut pas savoir de quel village ils sont, ni ce qu’ils ont dans la culotte. On ne peut pas vraiment leur faire confiance... On doit se méfier…

des barakis, des braconniers, des rebouteux et des sorciers, des trafiquants et des contrebandiers, des assassins en cavale (parfois de « bonne famille » comme, à la fin du XIXe siècle, le Prince Napoléon), des maris fugitifs, des épouses déviantes, des soldats déserteurs, des instituteurs subversifs chassés de l’école des Soeurs, des distillateurs clandestins de pekèts
, des insoumis, des prêtres réfractaires ou défroqués… me sont toujours restés fidèles, je connais leurs couilles depuis tellement d’années !

Ces vieux amis, continuent de me rendre visite, de m’amener des clopes, de faire quelques petites courses pour moi, de m’acheter

- Avec beaucoup de sel, mon lapin !
des sachets de frites à Saint-Hubert, Forrières, Jemelle ou même, quelquefois, à Marloie ou sur la route de Rochefort
- Avec deux cervelas, du pickles et de la sauce mayo, s’il te plaît !
des rouleaux de serviettes en papier, du PQ, des préservatifs, des pilules et des tampons hygiéniques, des cartes téléphoniques, des cannettes de bière ou des bouteilles de vin… et de pique-niquer avec moi (amenant leur boire et leur manger dans des paniers d’osier fermés avec des ficelles) et de tailler bavette avec moi et de faire appel
- Ils sont quelquefois un peu embarrassés ! Ils invoquent des problèmes de prostate ! Le démarrage n’est pas toujours évident ! Ce sont des choses qui arrivent avec l’âge ! Même chez les butors et les forgerons ! Même chez les taureaux et les vigoureux chevaux de trait ardennais ! Je comprends ça ! Il faut parfois aider la nature et donner un petit coup de manivelle !
à mes services et de me raconter leurs bonheurs et de me seriner leurs malheurs, de plaisanter, de potiner, de se bidonner, de faire le malin et de tourner les autres en ridicule, de se plaindre de tout et de rien… et finissent toujours par me confier le soin de régler leurs soupapes et de purger leurs rognons mais
- Ils font valoir qu’ils sont devenus vieux et que les métiers de la forêt2 ne marchent plus comme avant : ils n’ont plus beaucoup de travail, à présent, on fait moins souvent appel à eux… leurs revenus sont, maintenant, limités… Ils sont gênés d’avouer ça mais je les comprends ! Quelquefois, ils me demandent une remise, de leur faire crédit… ou même de leur avancer du pognon !
ils n’assurent plus comme avant...

Mis à la retraite ou partis travailler ailleurs (mais les usines et
les casernes ferment et les chemins de fer n’embauchent plus)… ou devenus chômeurs de longue durée ou indigents structurels relevant du centre public d’aide sociale, mes soupirants ne sont plus guère en mesure
- Les factures, les dettes, les huissiers, les amendes, la redevance TV, le chauffage et l’électricité, le précompte immobilier, les cotisations sociales, les médicaments… la femme de la maison qui s’aigrit… et qui, chaque soir, fait les comptes et ne laisse plus sortir son homme comme avant, fouille ses poches, confisque les clefs de sa voiture… le prix du lard, du pain, des pommes de terre, de l’essence, des cigarettes et de la bière qui ne cesse d’augmenter… les enfants, les petits-enfants… les visites de l’assistante sociale et tous les justificatifs qu’on doit lui fournir… Il faut comprendre, Reine…
- Je comprends, mon lapin !

de venir me voir aussi souvent qu’avant et de me couvrir de cadeaux comme dans le bon vieux temps : des boucles d’oreille, des bracelets ou des colliers de pacotille, une invitation à boire

- De la Faysanne, au Rimbaud, à Saint-Hubert, s’il te plait !
- On n’en fabrique plus, Reine ! La brasserie a été rachetée… et aussitôt fermée ! Qu’est-ce que tu veux que je te ramène ? De la Chouffe, de la Chimay, de la Rochefort, de la Saint-Monon ?
quelques godets dans un caberdouche ou un estaminet, un tour de manège à une kermesse de village… et même une promesse
- Je ne te mens pas, Reine, je te dis la vérité vraie ! Fais-moi plaisir, défais tes cheveux et laisse-les retomber sur les épaules ! C’est ainsi que je te préfère ! Dès que la bourgeoise aura avalé son dentier, je t’épouse…
de mariage…
Mes prétendants ne sont plus aussi généreux, enthousiastes et rigolards qu’avant…

La reine des pauvres et des paumés ne veut cependant pas se laisser abattre. Elle décide qu’il est temps de réagir:

Je suis devenue épaisse et boudinée ? D’accord ! Bientôt j’aurai les seins en gants de toilette ou en oreilles de cocker ? D’accord ! Mon visage va commencer à se plisser et je ressemblerai de plus en plus à une tireuse de cartes ou à une jeteuse de sorts ! D’accord ! L’arthrose me guette et je serai bientôt toute courbée ? D’accord ! Les curés me traitent de foeticide (comme si j’avais encore l’âge de faire des enfants, oh !… spermicide, je comprendrais mieux…) et menacent (comme si j’assistais encore à leurs messes et que j’écoutais toujours leurs sermons, oh !) de m’excommunier ? D’accord ! Faisons avec ! Sachons saisir la floche et tirer profit de la situation !

Reine prend la décision de se transformer en quelqu’un d’autre :

J’en ai marre de toujours devoir comprendre tout le monde... J’en ai marre d’être le cochonnet d’une partie de boules… J’en ai marre d’être toujours la plus drôle et la plus sympathique... J’en ai marre d’avoir été, toute ma vie durant, disponible, attirante, désirable, séduisante, chatoyante, gaie, enjouée, accueillante, charitable et généreuse… Je veux expérimenter de nouveaux sentiments… Je veux, à présent, me sentir coupable de quelque chose de grave et d’important… éprouver ça…

J’ai, à présent, l’âge d’être respectée. Je suis un être humain, une vraie femme, bien réelle. Je ne suis pas un fantasme, ni un en-cas, ni un faire-valoir. Une jeune fille inconnue ne m’a pas mis au monde sous X dans la salle des coffres d’une banque du sperme. A la mort de mon fumier de mari (dont le chanoine, le bourgmestre, le notaire, l’instituteur, le pharmacien et le garde-champêtre se demandaient

- Cette histoire de foie malade, ce n’est pas très clair ! disaient-ils parfois, avec un sourire entendu… On aurait peut-être dû faire une enquête…

encore aujourd’hui si je ne l’avais pas empoisonné avec des champignons ou d’autres trucs bizarres qu’on trouve dans la forêt, tandis que les femmes
- Qu’est-ce qu’elle vient faire par ici, cette traînée, cette salope, cette chienne en chaleur, cette parpayote, cette insolente, cette effrontée, cette envoûteuse, cette femme des bois qui sent le gui, l’herbe et la fougère ? Vient-elle nous provoquer, aguicher nos maris ? Cherche-t-elle à nous narguer ? Qu’est-ce que les hommes lui trouvent ?
du village se posaient beaucoup de questions quand elles me voyaient déambuler… en sifflotant, tête nue, portant une jupe courte, de couleur vermeille ou incarnat, légère comme les pétales d’une fleur de coquelicot… dans les rues sans trottoirs du village : la Grand-rue, la rue d’en haut, la rue d’en bas, la rue des champs, la rue de la forêt…), je n’ai pas voulu nourrir les cochons et soigner les vaches chez un bon chrétien, m’habiller tout en noir, porter un fichu sur la tête et un châle autour des épaules, chausser des bottes, patauger dans le purin, me faire pisser dans la gueule et recevoir des coups de sabot dans l’estomac.

Aurais-je dû, à l’époque, me faire engager comme serveuse ou dame pipi dans un restaurant routier ? J’ai choisi plutôt d’être une femme libre, indépendante, déboutonnée. Je veux, à présent, assumer pleinement ce que je suis. Je veux m’appartenir enfin, ne plus être au service, à la solde et à la merci des autres. Je veux devenir égoïste, ne plus penser qu’à moi-même. Je veux que mon grand cœur d’artichaut se change en galet ou en caillou.
Je veux devenir une sorcière !

Interrogées par Reine, les Anciens et les Anciennes, réunis dans la forêt pour un conciliabule secret, conseillent à leur consultante d’offrir un grand sacrifice

- Lui seul pourra te satisfaire, Reine ! A condition que le cadeau soit d’importance !
à Sataaaaaaaaaaaaaaan.

Le reine des champignons, des baies, des myrtilles et des fraises des bois décide donc de monter un projet scélérat.

Voici son plan :

- T’as toujours la trique, mon lapin ? T’as l’bâton ?
le vieux loup de m’aider… le loup, mon vieux compagnon… et mon touuuuuut premier amour, celui-là même qui m’a déviergée et
- Je le siffle, il s’amène en courant… en jappant, jappant, jappant… comme avant !

qui m’est resté fidèle… et que j’ai longtemps soupçonné
Je vais convaincre

- A quel âge m’as-tu prise, satyre !
- Oui, Reine, mais je ne t’ai pas forcée ! s’indigne le loup…
- J’étais encore une fillette ! J’en suis encore toute remuée ! Tu as dû me bousiller les ovaires, salopard !
d’être un peu pervers… et pédophile… et qui
- Je voudrais que tu me rendes un petit service, mon lapin…
continue d’aimer la viande de chasse, la chair crue, le sang frais…

Je vais convaincre le loup d’être mon complice … et lui confier la mission d’appâter, de séduire et de

- Elle appartient à une famille très pauvre, tu sais ! Sa disparition va grandement soulager ses parents ! Elle vient souvent ramasser du petit bois ou cueillir des champignons dans la forêt ! Elle est encore pucelle, propre et bien élevée ! Elle est saine ! Tu ne risques pas d’attraper des morpions ! Et encore moins le sida ! Je la connais très bien ! Elle vient parfois à la maison me faire un petit coucou ! Elle ressemble à ce que j’étais lorsque tu m’as connue ! Elle pourrait être ma petite fille… si j’avais eu des enfants ! Elle se gonfle les nichons avec du papier de toilette mais je l’ai surprise un jour, dans ma chambre, le torse nu devant le miroir, en train de se frotter la nuque pour regarder ses petits seins pointer… et fouiller dans mes affaires et essayer mon rouge à lèvres et sourire
comme une truie, la garce ! Je me suis dit alors que si je la laissais trop grandir, cette gamine, j’allais avoir des problèmes : elle risquait de devenir une sacrée coureuse… et de me faire une terrible concurrence ! Vas-y, mon loup gris ! Aide-moi ! Il y a urgence ! C’est une question de survie, j’te dis ! C’est un problème de légitime défense ! On est bien d’accord, mon loup d’amour ? J’te l’amène dans ma maisonnette au fond des bois et, après, tu t’en occupes et tu en fais ce que tu veux ? Tout ce que je te demande, c’est qu’elle disparaisse, pour toujours…
couiller et de croquer le Petit Chaperon rouge… de la kidnapper, de la cajoler, de la pâturer… et puis de la dévorer…

Ensuite, quand, après plusieurs semaines ou plusieurs mois de vaines recherches, un orpailleur, un défécateur assailli par des taons et des mouches vertes ou bleues ou un honnête chercheur de truffes retrouvera le squelette (sans plus aucune viande à grignoter auprès des os, tous rongés jusqu’à la moelle) désarticulé et les vêtements déchiquetés et le capuchon décoloré de la gamine sous un tas de fagots, près d’un chemin forestier, au pied d’un arbre où les Allemands avaient, pendant la guerre, enterré en vitesse, dans une tranchée peu profonde, plusieurs caisses de munitions et
37 grenades, je mettrai
- Au nom de Satan !
à prix la tête de l’assassin, je « découvrirai » alors des indices concordants… que j’aurai, entretemps, rassemblés, étiquetés et conservés avec soin (des boutons de braguette explosés, quelques poils pubiens arrachés, une petite culotte déchirée et souillée, un mégot), j’organiserai une grande battue avec mes vieux clients et quelques bonnes copines de Jemelle, de Marche ou de Saint-Hubert et
- Au nom de Satan !
je ferai tuer le loup, mon premier amour… ce vieux galant dépravé que je ne supporte vraiment plus de voir sucrer les fraises un peu plus tous les jours (sa prostate, ses reins, son pancréas, sa vésicule, sa bite) et de se teindre la perruque en fauve et de ressembler à un paillasson décrépit…

Je serai dorénavant une vraie salope !
Je ne devrai plus comprendre personne ! Ce sera aux autres de me comprendre et de me craindre ! Je serai enfin

- Au nom de Satan !
une vraie sorcière cruelle et
- Attention, depuis quelques temps, cette jument a tendance à ruer ! Il ne faut plus lui coller au train !
dangereuse, investie de pouvoirs maléfiques ! L’innocence insolente et la jeunesse insouciante auront été
- Au nom de Satan !
définitivement outragés ! Et mes illusions de jeune fille massacrés et mon premier amour lynché (lapidé, fouetté, poignardé, supplicié, sodomisé, ébouillanté, empalé, éventré, crucifié et décapité) !
Tout le monde, alors, me devra le respect.

Voilà donc le projet scélérat imaginé par la reine des sentiers buissonniers, des chemins de campagne et des routes qui traversent la forêt. Il lui reste maintenant à le mettre à exécution.
En aura-t-elle

- Reine hésite encore un peu… Elle espère toujours pouvoir se refaire… Elle attend que la crise passe et que le commerce reprenne ! Rien n’est encore établi ! Et la p’tite garce au sourire de truie ne va sûrement pas se laisser faire ! Ce n’est pas gagné d’avance !
le coeur ?


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1Faire l’amour à la claire fontaine, à la belle étoile, dans les prés
- Commettre une infraction… ET un péché mortel, c’est goûteux !
ou dans les meules de foin… ou dans l’ancienne résidence du garde-chasse de Nassogne, lorsqu’elle était à l’abandon… ou
- Chez moi, dans la petite maison, au cœur de la forêt, le seul bien que mon fumier de défunt mari m’ait laissé en héritage ? Jamais ! C’est privé !

dans la grange ou un appentis d’un pavillon de chasse appartenant à des gens de la ville, le plus souvent inoccupé, à Mochamps… ou, quand il pleuvine ou qu’il fait un peu frais, à l’intérieur d’une voiture en stationnement sur un parking désert du parc à gibier de Saint-Hubert, des gares de Marloie et de Jemelle ou du Fourneau Saint-Michel (à la sortie de la forêt, au pied de la vallée de la Diglette)… c’est à la fortune du pot ! On ne doit pas s’attendre à bénéficier du même confort que dans la chambre n°4 d’une maison de rendez-vous ! On aime faire l’amour dehors, librement, comme les bêtes ? Il faut s’adapter alors ! Les produits frais de la ferme et des bois, ça ne se trouve pas dans les grandes surfaces !

2 La forêt a beaucoup changé… Certains « métiers » des bois ont même carrément disparu… Et sont venus les « pépiniéristes », marchands de sapin de Noël et fournisseurs de supermarchés… et les "négociants en bois" qui se présentent comme des « investisseurs » soucieux de rentabilité et ayant pour ambition de redynamiser l’exploitation forestière wallonne… et qui sont originaires, quelquefois, de Flandre... et qui décrochent, au détriment des scieries locales, d'importants contrats de vente de grumes à l'Inde ou Chine et les « gentils
- Ne quittez pas les chemins balisés ? Restez groupés ?
accompagnateurs », bénévoles ou stipendiés par un hôtel, une colonie de vacances ou un syndicat d’initiative local, armés de cannes à bout pointu, qui escortent et
-
N’oubliez pas le pourboire ?
guident des troupeaux de scouts, de marcheurs, de joggeurs, de touristes écolos et autres estivants, week-endistes et dimanchiers… et de tous ceux qui ont peur de se perdre dans les bois, de croiser le chemin d’un
- Ou même d’une vipère, déguisée en bâton qui se serait échappée de la botte de Givet ou de la région de Philippeville ! Et qui aurait réussi à traverser l’autoroute !
renard atteint de la rage ou de se retrouver nez à nez avec une laie, prête à charger les intrus pour protéger ses marcassins… ou d’être rançonné par le fantôme d’un « résistant », d'un réfractaire au STO ou d’un soldat allemand… ou d’être interpellé par un coupeur de routes à la solde de Guillaume de la Marck, le sanglier des Ardennes…
La forêt n’est plus ce qu’elle était. On dit que même que le Prince Napoléon, jadis garde-chasse à Nassogne, serait devenu gargotier pour touristes…









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