Didier de Lannoy
La Chambre n°4
Nassogne-Badja 13-31 octobre 2010
Extraits
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Satan n'oublie jamais
Nassogne.
Chambre n°4.
Yovo Yovo Bonsoir soliloque :
Satan ne m’a pas oublié.
- Yovo Yovo, bonsoir ! Satan n’oublie jamais !
Satan ne me lâche pas. Satan, les mains gonflées de grosses veines, toujours derrière son PC ou plongé dans un bouquin de recettes maléfiques, continue de veiller sur moi.
- Yovo Yovo, bonsoir ! Satan ne lâche jamais ses prises !
Ainsi donc, rappelée par Satan, la pancréatite va-t-elle revenir me tourmenter ? Pourra-t-elle, en cachette des sodjas ou avec leur complicité, s’évader de son village d’origine, sur la route d’Atakpamé (où les médecins de l’hôpital Saint-Joseph avaient réussi à la faire reléguer), descendre à Lomé en minibus, prendre place dans un taxi collectif qui fait la route de Kpalimé, dépasser Adidogomé, Sanguera (et
- Efio ! Azi ! Pain ! Mouchoirs en papier !
son poste de péage), Aképé, Noépé, Bagbé (et
- Oranges ! Tomates ! Ananas ! Bananes plantain séchées ! Efio ! Azi ! Edje ! Abobo ! Noix sucrées ! Oeufs ! Sel du Ghana! Brochettes d’escargots !
son marché frontalier) et, une fois arrivée à Badja, juste après les établissements Eureka (vente de ciments) et le salon de coiffure Jérusalem (pour dames uniquement), traverser la nationale, obliquer à gauche, dans la direction de Todomé, gagner enfin Nassogne, frapper doucement
- Yovo Yovo, bonsoir ! Ça va bien ? Je te retrouve enfin !
- Tu ne m’as donc pas oublié ?
- Je t’aiiiiiiiiime toujours, Yovo ! Je n’ai jamais cessé de t’aimer ! Comment aurais-je pu t’oublier ! Je savais bien que tu allais, tôt ou tard, me revenir ! On va pouvoir se remettre ensemble !
à la porte de la chambre n°4, vers quatre heures du matin, et
- Après je t'invite à bien me soigner ! Et à m'offrir une bouteille (puis deux, puis trois, puis quatre) d'Awoyoo au Réservoir, en face du siège central de la caisse de sécurité sociale ... C'est un bar en plein air où la musique est bonne ! Les brochettes et la pintade aussi !
se glisser de nouveau dans mon lit ?
Yovo Yovo Bonsoir commence sérieusement à s’inquiéter.
- Interdiction, désormais, de manger de la banane et de l’ananas ? Les cochons de lait ne peuvent plus être grillés mais bouillis ? Et les frites doivent-elle être cuites à l’étuvée et servies en purée ? Et les choux préparés crus, en salade, sans huile ?
- Alleluiah ! ricane Satan…
Devra-t-il terminer son séjour à Nassogne comme un misérable ? Et se tordre de douleurs dans la chambre n°4, allongé sur le carrelage, à la recherche d’un peu de fraîcheur ? Le souffle court, la tête qui pèse et
- Alleluiah ! se réjouit Satan… Tu vas peut-être, enfin, pouvoir t’abandonner, Yovo ! Et laisser ton corps entrer en transes et accepter d’être chevauché par un vaudou !
qui tourne, tourne, tourne… la démarche vacillante, le cerveau embrumé, les membres gourds, les urines trop claires ou
- Alleluiah ! Tu n’es donc jamais content de ce que tu as, Yovo ? s’esclaffe Satan… Tu es vraiment très difficile à satisfaire ! Et cesse de te regarder tout le temps, tu n’es quand même pas le nombril de Nassogne !
trop foncées, les jambes flageolantes, les pieds lourds comme des sabots, les doigts-crapauds, les orteils boudinés, les tripes torsionnées… et qui picotent, picotent, picotent, picotent… un tisonnier chauffé à blanc (ou la pointe acérée d’une lance trempée dans du citron, du piment ou de l’acide) enfoncé profondément dans le bas-ventre... Sans alcool (sans même
- Jusqu’à la fin dernière des temps…
- Alleluiah ! jubile Satan… Mais si tu viens t’installer à la maison, Yovo, je t’offrirai tout ce que tu voudras ! Moi aussi je tiens une chambre n°4 à ta disposition !
une grande bouteille de deha fraîchement tiré… ou trois ou quatre bonnes mesures d’un excellent sodabi), sans viande persillée, sans cochon de lait grillé, sans bloms, sans huile rouge, sans sauce épinard (avec du gros poisson fumé entier, du bœuf, du crabe, du poulet, des graines de courge et du piment), sans ignames grillées, sans tabac à chiquer ou à priser, sans même
- Alleluiah ! se désole Satan… Mais si tu viens chez moi, la petite pancréatite pourra te rendre visite tous les jours ! Et rester dormir dans la chambre n°4 que je t’aurai réservée ! Je ne suis pas bégueule !
une petite femme aimante, rissolée dans une poêle en fonte, avec des oignons, des tomates coupées en rondelles et des ignames… servie toute chaude au petit-déjeuner… et saupoudrée de gari bien croquant ?
Oh ! Mais qu’est-ce que le Togo va penser de Yovo Yovo Bonsoir ? Va-t-il déchoir encore, manquer à ses hôtes et leur faire affront ? Va-t-on, de nouveau, être obligé de le renvoyer dans ses foyers ?
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